il est devenu aussi sûr que l’ascension du Rigi ou du Pilate l’était pour les grimpeurs d’il y a trente ans. Mais ce n’est pas là l’alpinisme dans le sens que les fondateurs de l’Alpine Club donnaient à ce terme, et ce n’est pas l’alpinisme dans le sens où en usent les élus, un tout petit clan, qui peut-être même diminue. Mettre toutes ses facultés, physiques et morales, à se mesurer à quelque précipice farouche, à forcer quelque couloir déchiqueté et revêtu de glace, est un travail viril, digne d’un homme ; peiner le long de pentes d’éboulis, derrière un guide « capable de dépeindre de son lit chaque marche de la route avec toutes les places pour les mains et les pieds », n’est qu’un travail digne de ce paquet de chairs revêtu d’habits à la mode, apporté à Zermatt par le chemin de fer, avec tous ses parfums et ses onguents, son linge empesé et ses bottes luisantes.
Le vrai montagnard est un vagabond, et par vagabond je n’entends pas un homme qui dépense tout son temps à parcourir la montagne de ci et de là sur les mêmes traces que ses prédécesseurs — tel un cycliste court le long des grandes routes de l’Angleterre — mais j’entends un homme qui aime à aller où jamais homme n’a pénétré avant lui, qui met sa joie à s’accrocher à des rochers n’ayant jamais senti le toucher des doigts humains, ou à tailler sa route dans des couloirs de glace dont les ombres farouches sont le séjour sacré des nuages et des avalanches depuis que la Terre est sortie du chaos. En d’autres mots, le vrai montagnard est l’homme qui tente de nouvelles ascensions. N’importe s’il réussit ou s’il échoue, il prend sa jouissance dans la fantaisie ou le jeu de la lutte. Les dalles décharnées et nues, les ressauts perpendiculaires et précipitueux de l’arête, et la glace noire du couloir en surplomb sont le souffle même de la vie de son être. Je ne