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LE COL DE ZANNER

sauvage d’un corps-à-corps ; bien que, à tout prendre, il eut clairement l’opinion qu’il y avait une joie plus durable et plus artistique à affûter habilement son adversaire, et à lui tirer un coup de feu de derrière quelque pierre commode. La conversation était illustrée par une telle richesse de gestes et de mimique, qu’il suppléait ainsi à notre presque totale ignorance de la langue. Je dois avouer que j’étais quelque peu troublé et que je me demandais s’il était prudent d’emmener un homme d’un esprit aussi furieusement guerrier dans des villages remplis de ses ennemis héréditaires.

Nous faisons route à travers les bois épais des pentes de la vallée, et de temps en temps, dans nos efforts pour éviter ces inextricables sous-bois, nous sommes presque forcés de suivre le torrent bouillonnant. Peu à peu la vallée s’ouvre, et vers le soir nous dirigeons nos pas vers de riches pâturages, ombrés de nobles massifs de hêtres et de sapins.

Arrivés aux premières maisons, mes craintes au sujet de la conduite du Tartare s’évanouirent ; sa demande sur la direction de la résidence du Starshina [du chef] fut, sinon conciliatrice dans le ton, du moins élaguée de toute expression indicatrice de ses véritables sentiments. Il faisait tout à fait nuit quand nous eûmes atteint la maison de ce digne homme à Mujal[1]. Nous frappons à sa porte, et, après quelques minutes, mouvementées par les féroces aboiements de divers chiens, il apparaît et nous fait un accueil cérémonieux. Paré de ses plus beaux habits, orné de cette chaîne absurde portée par les huissiers français comme par les maires anglais, il nous montre le chemin de la maison des hôtes.

  1. Mujal est le plus haut village de la vallée de Mulakh, affluent rive droite de la Suanétie ; il est à 1600 m environ d’altitude.