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QUELQUES COLS CAUCASIENS

Le jour vint avec tous les symptômes d’un orage imminent. De longues traînées de nuages se formaient au dessus des arêtes, balayées et entrechoquées sous le souffle capricieux des vents hurlant là-bas dans les gorges des glaciers. Le Tartare nous dit alors en branlant la tête « Karaul  ? » ; comme nous restions là refusant de descendre, il se drapa dans sa burka et nous donna à entendre que le vent et la neige seraient notre lot sur le Bezingi Vsek.

Après avoir ascensionné les rochers rapides par lesquels nous avions auparavant tourné la chute de séracs, nous commençons une courte, mais très rapide descente sur la partie supérieure du glacier. La glace elle-même était coupée des rochers par une rimaye commençante et pourvue d’un excellent pont. Le Tartare laissa tomber son bâton ferré dans un des trous de ce pont. Zurfluh et moi considérions son arme comme perdue sans espoir quand le Tartare insista pour être attaché à bout de corde et être descendu dans la crevasse. Nous fîmes sauter des bords la neige glacée, pensant que les noires profondeurs seraient plus éloquentes que notre parole. Pas le moins du monde, il semble même plutôt se réjouir de cette obscurité terrible : nous le descendons alors jusqu’à ce qu’il disparaisse de la vue. Au bout d’une sixaine de mètres, un cri de joie nous fait penser que sa recherche est couronnée de succès, et nous hissons et amenons à nous le Tartare, ses cheveux et sa barbe noirs tout poudrés de neige et de glace. Il était des plus satisfaits d’avoir recouvré son bâton ferré et me donna dans le dos plusieurs coups résonnants, ce qui était une marque d’affection et de bon vouloir. Sa satisfaction prit même une forme plus agréable pour moi, car il insista pour prendre mon sac en plus du sien.

Au lieu de revenir par le col que nous avions passé