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LE BEZINGI VSER

l’arête était évidemment facile et si l’on eût désiré mettre à l’épreuve son étoile ainsi que la solidité de la corniche, cela n’eût pas entraîné une perte considérable de temps ; mais nous n’entendions pas assumer ce risque, et d’autre part tailler des marches dans la glace vive, le long de la face abrupte en dessous de la corniche, aurait entraîné le travail de jours entiers plutôt que d’heures entières. Il était certain que nous avions attaqué l’arête beaucoup trop tôt et nous ne pouvions échapper à une défaite que par le dangereux expédient d’user de la corniche comme grande route.

Les avis prudents prévalurent et nous nous déterminâmes à la retraite[1]. D’une corniche commode, formée d’un rocher projeté, nous voyons comme sur une carte diverses routes promettant de nous conduire jusqu’au sommet de notre pic ; mais la limpidité extraordinaire de l’atmosphère, l’absence de tout vent, et la chaleur intense, sont des signes infaillibles du mauvais temps imminent. Cette journée était bien à nous, mais le lendemain appartenait évidemment à la tempête et aux tourmentes de neige. Nous prenons notre goûter dans cet état de bonheur atténué qui résulte de l’ennui d’un échec d’un côté, et de l’autre du charme d’un paysage exquis et du confort de la chaleur d’un beau soleil.

Il nous fallut prendre beaucoup de soins pour regagner notre ressaut glaciaire. La chaleur du soleil avait ramolli les liens glacés qui maintenaient la pente croulante. La

  1. La première ascension du Shkara (5.193 m.), que A. F. Mummery venait de manquer si malheureusement par un excès de prudence, fut faite deux mois après, le 7 septembre 1888, par M. Cockin, avec U. Aimer et C. Roth, par le glacier qui remonte entre le grand promontoire du Shkara et l’arête Nord qui tombe sur le Bezingi Vsek (col de Dych Su), puis par une étroite arête de neige dure qui nécessita une longue taille de marches ; il arriva au sommet seulement à 3 h. 42 soir. (Voyez Alpine Journal, XIV, p. 197 et XVI, p. 477.) — M. P.