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LE DYCH TAU

dalles de granite sans une cassure. Nous étions là à tracer notre itinéraire, de fissures en couloirs et de couloirs en arêtes, jusqu’à ce qu’il nous conduisît à la grande face abrupte et lisse, où, comme le faisait dévotement remarquer Zurfluh, nous n’avions plus qu’à espérer que « Der liebe Gott wird uns etwas helfen » « le bon Dieu voudrait bien nous aider un peu ». Nous examinâmes les derniers vacillements des rayons du soleil se jouant autour des blocs les plus élevés du Dych Tau, puis nous nous insinuâmes sous l’abri de la tente et dans nos sacs de nuit. Notre Tartare, plus endurant, refusa la place offerte auprès de nous ; après s’être lavé la tête, les pieds et les mains suivant les rites de sa secte, il se coucha en plein air le long d’un grand rocher (le même peut-être à côté duquel MM. Woolley, Holder et Cockin campèrent quelques semaines plus tard). Zurfluh regarda ces arrangements avec un intérêt plein de tristesse, pensant certainement que le vent glacé ferait mourir de froid notre pauvre compagnon avant le matin[1].

À 1 h. mat., Zurfluh qui s’est constamment tenu éveillé, pour se lamenter sur le décès lent et pitoyable du Tartare, se traîne hors de la tente pour voir où il en est. Quelques minutes plus tard, tout en claquant des dents, mais néanmoins avec une joie réelle et sur son visage et dans la voix, il vient me dire que non seulement le Tartare est encore en vie, mais que, pieds nus, il paraît

  1. Notre camp était placé sur les éboulis, à un point situé lui-même à deux centimètres et demi du bas de l’illustration ci-contre et a deux centimètres du bord gauche. Nous montâmes à un col de neige encore plus loin sur la gauche et nous ascensionnâmes la montagne diagonalement jusqu’à la grande arête secondaire, à gauche du long couloir situé entre les deux sommets. Eu égard au fort raccourcissement dû a la perspective, notre traversée de cette face paraît presque horizontale ; en fait ce fut presque une ascension directe. La même cause fait que les pentes paraissent matériellement moins rapides qu’elles ne le sont réellement. Les pentes elles-mêmes du terrain le plus rapproché sont déjà très rapides.