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UN PETIT COL

Après plusieurs tentatives sans succès, et non sans avoir violemment exercé la patience de ceux qui étaient en haut, je finis par fixer mon piolet de l’autre côté de la crevasse et par contourner le coin de la plaque de telle manière que je puisse saisir la crête d’une deuxième plaque plus basse qui forme une sorte de continuation de notre première connaissance et amie. Un instant plus tard j’escalade sa surface brisée et délitée, et je passe sur un pont excellent qui me conduit au delà sur la glace ferme. Le sac est descendu et Collie le suit bientôt. Hastings, qui vient le dernier, jette un regard méprisant sur la grande masse de glace, et, appuyant son dos contre elle, il se faufile autour du coin avec la plus grande facilité. Comme il se trouve dès lors à un niveau supérieur, il peut franchir la crevasse sur les piolets que Collie et moi avons disposés en travers, et éviter ainsi les difficultés principales du passage.

Deux ans auparavant j’avais passé le Col de Triolet et franchi la même rimaye presque sans difficulté ; mais deux hivers sans neige en avaient totalement changé la physionomie. Plus bas, me souvenant de splendides pentes d’avalanches sur la rive droite du glacier, j y conduis notre caravane ; mais à la place d’une glissade de 300 et quelques mètres sur de la neige dure, nous avons à nous débattre avec des éboulis et des rochers, car les mêmes hivers exceptionnels ont manqué au devoir de remplir ce que le soleil de l été a gaspillé. Comme conséquence le pont dont on se sert pour traverser le torrent du Val Ferret a complètement disparu, et très probablement personne ne vient plus maintenant dans ces pays de désolation et de hideur sans fin. Après avoir traversé à gué le torrent nous descendons sur Courmayeur, où nous arrivons au milieu d’un déluge d’orage, à 9 h. 15 soir.