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LE COL DES COURTES

était impossible de se tenir sur les marches ainsi taillées sans se soutenir, tout au moins, avec une main, l’autre étant seule libre pour le piolet. Les marches commençaient à devenir moins bonnes et mes compagnons étaient obligés de me donner l’appui de la corde. Heureusement que le piolet, tenu de toute sa longueur, pouvait encore atteindre le mur opposé, il m’apportait ainsi une aide importante pour l’exercice, autrement périlleux, d’aller d’une, marche à l’autre.

La plaque, sur sa crête opposée, se recourbe vers le grand mur supérieur de la rimaye ; après avoir frayé ma voie jusqu’à cette partie de la crevasse, je puis enfin me préparer un terrain plus sûr. Là je fais halte un instant pour me remettre des effets de la lutte. Un de mes pieds était supporté par la plaque, l’autre était coincé dans une brèche de la glace mère, et toute l’éternité bayait en dessous ; c’est dans cette attitude que j’avais à considérer ce qu’il me restait à faire. La plaque devenait très mince, on pouvait en effet distinguer clairement à travers sa masse les différences d’ombre et de lumière au delà ; sa contexture aussi laissait à désirer et il était évident qu’il faudrait prendre les plus grands soins pour en user avec elle. Ajoutez à cela la formidable difficulté présentée par une masse de glace pesant des centaines de kilos, suspendue par une tige curieuse et apparemment des plus insuffisantes de la même matière fragile, et située exactement au dessus de la place où je désirais passer. Envoyer d’un seul coup de piolet cette masse s’écraser avec un bruit de tonnerre dans le fond de la crevasse était des plus faciles ; mais la santé délicate de la plaque ne semblait pas devoir supporter un remède aussi énergique. Je décide à la fin de passer au dessous de cette « horreur suspendue », en évitant complètement d’y toucher.