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L’AIGUILLE VERTE

corniche et de ce point je puis aller me loger sur la tour rocheuse la plus prochaine. Ces diverses traversées ou escalades, semées de haltes pour lesquelles notre paresse ingénieuse inventait des excuses passables, nous avaient pris beaucoup de temps, et nous étions encore loin d’avoir une idée précise au sujet du sommet.

Soudain nous sortons du nuage au milieu des brillants rayons du soleil ; en dessous de nous s’étend une mer sans fin de vapeurs houleuses, hors de laquelle émergent seuls le Mont Blanc et les Grandes Jorasses. Pressés que nous sommes par le temps, nous ne pouvons pourtant pas résister à nous arrêter pour examiner ce spectacle extraordinaire et des plus beaux. Devant nous une courte arête de neige conduit à ce qui doit certainement être la pointe terminale, nous nous mettons alors carrément au travail et après un quart d’heure ou vingt minutes de taille de marches nous arrivons sur le sommet (2 h. soir).

Le souffle mordant du vent du Nord balayait l’arête, et tenait en mouvement constant, au dessous de nous, les immensités nuageuses. À certains moments de vastes masses tendaient à s’élever vers le ciel, et, prises par le vent, mettaient à la voile, posant des ombres extraordinaires sur l’étendue moutonnée en dessous. Cette halte, comme quelques-unes auparavant, fut terminée par une soudaine bourrasque de nuages glacés et par une petite chute de neige. À 2 h. 15 soir nous quittons le sommet et nous descendons hâtivement la pente. Malgré le temps qui empire nous rampons et nous dégringolons le long de l’arête aussi vite que nous le pouvons. En dépit du changement d’aspect de la montagne causé par la neige tombant rapidement, Collie suit notre route du matin avec une précision absolue. À l’endroit exact il tourne et