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LA DENT DU REQUIN

lader n’avait guère plus de 45 centimètres de large. Hastings, avec une audace et un talent extraordinaires, s’arrange pour me suivre à 1 mètre environ, et me donne l’appui bienvenu de son piolet : ainsi aidé, je place une main sur l’arête et, à son extrême limite supérieure, je trouve une entaille profonde et des plus satisfaisantes ; mais, même avec cette aide, mettre un pied sur la corniche, puis abandonner la coupure, et reprendre l’attitude debout, tout cela n’est pas tout à fait facile. Nous rencontrons alors le travail habituel des cheminées, coins abrupts, roc parfois humide, et la tendance générale de toutes choses à s’incliner vers le vide et même à surplomber. À plus d’un endroit Hastings eut ainsi à pousser le chef de la caravane pendant 2m,50 à 3 mètres ; mais, à part ce genre d’escalade, qui, du reste, semblait au chef en question la plus commode et la plus reposante façon de gravir une pente, il ne fut plus rencontré de très sérieux obstacles. À environ 11 h. 30 mat. nous atteignons la fenêtre dans l’arête Est et sommes à une courte distance du sommet.

À notre droite un audacieux clocher coupe la vue ; sur la gauche, une lame de couteau de granite[1] se dresse abruptement pendant quelques 5 mètres, et vient alors buter contre une tour carrée. Dans son ensemble elle paraissait formidable, et nous fûmes tous d’accord qu’une halte devenait urgente. Mais, au bout de peu de temps, nous comprenons que ce n’est pas vivre que de rester assis sur un roc incliné vers le précipice à un angle de cinquante grades, à se retenir et à se cramponner à des saillies mal commodément placées ; notez que rien n’est changé si vous tranformez, comme nous le faisons, cette position en une

  1. La « Knife edge arête» « Lame de couteau » de l’illustration déjà citée de l’Alpine Journal. — M. P.