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LA DENT DU REQUIN

nous passerions une seconde nuit dehors et que, faisant pour ainsi dire coup double à droite et à gauche, nous escaladerions le Requin un jour et l’Aiguille du Plan le lendemain.

Nous consultons et la carte et nos souvenirs collectifs sur ce que nous avions bien pu observer pendant le passage du Col du Géant, et nous décidons de camper, un peu en dessous du Petit Rognon, sur quelque rocher innommé, où nous devons trouver, d’après les plus excités de la caravane, du gazon et autres luxes laissés dans le vague.

Le lendemain nous commençons nos préparatifs immédiatement après le déjeuner ; les plus âgés, avec l’expérience accumulée des années, engagent un porteur pour prendre leur part de bagage, mais Hastings, avec sa musculature et son imprudence de jeune, charge un grand sac, et sans sourciller nous ouvre encore le chemin qui conduit au pied des rochers en haut desquels se trouve le bivouac proposé.

À partir de ce point un désir intense de jouir de la vue se manifesta à la fois dans toute la caravane prise généralement, et individuellement dans toutes ses parties constitutives. Dans les rares occasions où nous n’étions pas tous assis sur une pierre plate à admirer de concert le panorama, on aurait pu voir quatre rôdeurs dispersés, appuyés sur leurs piolets et absorbés dans la contemplation sereine des splendeurs d’une pente rapide d’éboulis. Nous n’avancions guère à ce métier, et ce ne fut pas avant 2 h. 35 soir que nous ralliâmes un charmant petit vallonnement gazonné. On aurait pu voir chacun de nous, au moment où il atteignait cette étroite oasis dans les déserts de pierres, regarder au dessus, d’un air fatigué, la moraine rapide, se jeter alors à terre, puis se répandre, avec l’élo-