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LE GRÉPON

difficile ascension, une nuit passée à plonger, la tête la première, dans des trous d’une affreuse profondeur. J’étais jadis de cet avis, mais les années sont venues donner chez moi de la force aux arguments en faveur du campement préparatoire ; et maintenant une tente-abri, un matelas de peau de mouton et un sac en édredon ont pour moi une attraction irrésistible en comparaison du départ matinal, des pierres interminables, et des tortures de la lanterne pliante, cet instrument qui vous verse « non pas de la lumière mais seulement des ténèbres visibles ».

Comme toute chose dans les Alpes, une nuit passée dehors est en elle-même un grand plaisir. En aucun autre cas on ne peut jouir d’aussi magnifiques couchers de soleil, de pareilles « formes enchantées de vapeur errantes », d’aussi exquis effets de lumière mourante se jouant dans les découpures fantastiques des séracs chancelants. Voir la nuit sortir en rampant de son repaire dans la vallée, et s’emparer arête par arête des monts les plus bas jusqu’à ce que le grand dôme éclatant du Mont Blanc plane seul au-dessus des ténèbres assemblées, c’est là une jouissance interdite aux habitués des hôtels et dont on ne rêve jamais au milieu du bruit de la table d’hôte.

Peu d’endroits peuvent rivaliser avec l’arête étroite de rocher, ayant en face un précipice et derrière une pente abrupte de glace, où notre petite tente était dressée, et peu de couchers de soleil ont fait apparaître de plus magnifiques contrastes et de plus tendres harmonies que celui qui annonça la nuit du 4 août 1893.

Notre caravane se composait de Miss Bristow, M. Hastings et moi. Chaudement enveloppés dans nos sacs de nuit, nous restâmes assis buvant notre thé à petites gorgées jusqu’à ce que les étoiles les plus petites et les plus paresseuses fussent complètement éveillées. Ce fut seule-