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UN PIC INACCESSIBLE

Notre opération du lancement de la corde avait été poursuivie du faîte d’une sorte de mur étroit, large d’environ soixante centimètres, et situé à peut-être un mètre quatre-vingts au dessus de la coupure. Burgener, posté sur ce mur, se tenait prêt à soutenir Venetz avec le piolet aussitôt qu’il serait à portée, pendant que ma modeste personne, placée dans la dépression, se disposait à l’assister dans la première partie de sa course. Aussitôt que Venetz, arrive hors de ma portée, Burgener penché sur l’ouverture presse la pointe du piolet contre la face du rocher, créant ainsi une série de marches d’une sécurité douteuse sur lesquelles Venetz peut se tenir et reprendre force avant chaque effort successif. À la fin il quitte toutes ces aides factices et ne dépend plus que de son habileté, splendide du reste. Centimètres par centimètres il force sa route, tout haletant, sa main errant sur le roc lisse dans cette recherche vague de prises inexistantes dont il est si pénible d’être témoin. Burgener et moi le suivons avec une anxiété intense et c’est avec un vrai soulagement que nous le voyons, avec les doigts d’une seule main, atteindre la ferme prise que lui offre l’arête quadrangulaire du sommet. Peu d’instants après il surpassait le roc surplombant, pendant que Burgener et moi poussions les rauques hurlements de la victoire[1]. Lorsque la corde descend pour moi, je fais une brillante tentative pour grimper sans son aide. Le succès couronne mes premiers efforts, puis vient un moment de suspension, et la suspension de métaphorique devient promptement réelle ; alors, gigottant comme une araignée, je suis hissé sur le

  1. M. Dunod apprit, paraît-il, à Chamonix que j’avais emporté pour cette ascension trois échelles de trois mètres chacune (Annuaire du Club Alpin Français, XII, 1885, p. 99) ; il est inutile de dire que c’était un mythe de Chamonix. Cela, du reste, le conduisit à s’encombrer de trois échelles de trois mètres soixante chacune.