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LE GRÉPON

mètres, s’est-il arrangé pour monter, je n’ai jamais pu me l’expliquer. À l’étage au dessus, la fissure se rétrécit mais une pierre s’est précisément coincée à l’endroit utile ; plus haut, le côté droit de la fissure est formé de rocs brisés et c’est avec une facilité relative que nous parvenons à nous hisser sur le faîte. Ce faîte forme là un passage étroit, mais parfaitement aisé et horizontal, à la cheminée qui conduit au trou de l’arête. Nous trouvons ce trou ou portail gardé par un gros bloc de rocher tellement instable qu’un contact malencontreux amènerait une réplique sévère et que l’impertinent voyageur serait lancé sur le Glacier des Nantillons. Après avoir foncé au travers, nous steppons sur un petit plateau couvert de débris de rochers fendus par la glace.

Burgener nous propose, au milieu d’un silence révérencieux et approbateur, que des libations soient dûment répandues avec une bouteille de Champagne. Cette religieuse cérémonie ayant été régulièrement accomplie (c’est la forme occidentale des prières faites par les pieux bouddhistes quand ils atteignent la crête de quelque col thibétain), nous procédons à l’attaque d’une petite fente qui surplombe la Mer de Glace, et dont le sommet se trouve habilement protégé contre notre assaut par un rocher en saillie. Au-delà nous nous trouvons dans une sorte de crevasse de granité, et comme, aussi loin du moins que nous pouvons la voir, elle n’a pas de fond, nous avons à nous hisser de nos genoux d’un côté et de notre dos de l’autre. En cet endroit Burgener fit montre de la plus pénible anxiété, et son « Herr Gott ! geben Sie Acht ! » « Mon Dieu ! Faites attention ! » avait le ton d’une lamentation dans son ardente prière. Quand j’émergeai à la lumière son anxiété disparut. N’était-ce pas le sac qui était sur mes épaules, et dans le sac n’étaient-ce pas