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L’AIGUILLE DES CHARMOZ

pour notre temps, et que nous pourrons encore exercer notre culte en paix, dans les grands sanctuaires de nos pères.

Les joies de l’escalade sans guides m’ont emporté bien loin des rocs et des tours des Charmoz ; elles m’ont même, je le crains, conduit à la plus grande des indiscrétions, une confession de foi. La prudence m’engage à quitter ce terrain dangereux pour retourner sur le solide granite de notre pic. Jusqu’à l’endroit où, lors de notre première ascension, nous avions laissé nos bottes, je ne trouvai ni plus ni moins de difficulté que je ne m’y attendais ; au de là ce fut beaucoup plus facile.Il est possible que durant cette première expédition l’absence des protectrices habituelles de nos pieds nous ait causé plus de gêne que de facilité ; il est possible aussi que l’extraordinaire diminution de la glace dans le couloir ait rendu aisé ce qui auparavant s’était trouvé être la plus terrible des difficultés, diminuant ainsi l’impression générale que nous avait faite la montagne entière ; il est possible encore, et cette pensée apporte son baume aux membres les plus âgés de la caravane, que les années écoulées n’eussent pas encore pu faire leur œuvre déprimante sur nos muscles, nos poumons ou nos nerfs. Mais foin de ces spéculations ; j’oubliais que l’enthousiasme lui-même était encordé dans notre caravane. La présence de deux dames, qui nous avaient fait l’honneur de leur compagnie, nous avait doués sans doute d’une force et d’une agilité que pas même l’entraînement des guides, pas même l’activité de la jeunesse, n’auraient pu surpasser. Notre marche vers le premier sommet fut donc simplement une série de victoires faciles.

À partir de ce point, nous suivons à grands pas l’arête, escaladant en route le curieux clocheton très irrévéren-