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L'AIGUILLE DES CHARMOZ — AVEC GUIDES

velle, au point même de sembler rendre notre passage du Col du Géant une téméraire et périlleuse aventure. Pourtant, comme le jour s’écoulait, les nuages commencèrent à se déchirer et, quand nous atteignîmes les séracs, un brillant soleil faisait fondre les neiges fraîches contre les faces rocheuses, alors que, contre les pentes plus abruptes, il les faisait partir en avalanches de toutes sortes et de toutes grandeurs.

À Chamonix je fus encore en danger de devenir positivement victime des ruses des propriétaires d’hôtels et de leurs cuisiniers ; mais heureusement quelques amis reconnurent la périlleuse position où je me trouvais et ils m’enlevèrent jusqu’aux Grands Mulets. Nous n’étions pas plus tôt là qu’un autre orage nous assaillit et nous garda dans la cabane trop tard pour que nous pussions descendre. Le lendemain matin, quand nous parvenons à nous éveiller tout à fait, nous nous apercevons que nous sommes déjà à mi-chemin du Grand Plateau, Burgener et Venetz étant évidemment restés sous l’impression que nous avions l intention de passer le reste de la journée à ascensionner le Mont Blanc, occupation qui me rappelle le « Moulin de discipline » où les condamnés anglais sont forcés de travailler sans relâche pour ne moudre que du vent. Des idées révolutionnaires gagnent bientôt la caravane, et aboutissent au refus formel des membres amateurs de faire un pas de plus. En dépit de l’indignation et du mépris des professionnels, nous dégringolons en glissades vers les Grands Mulets, où nous prenons nos peu nombreuses affaires, et nous dévalons à Pierre Pointue puis à Chamonix.

La même après-midi nous tenons un conseil solennel où il est décidé que ce genre de vie ne peut pas durer plus longtemps ; en désespoir de cause on décide de partir