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TÄSHHORN

rocheuse, loin au dessus du précipice. Immédiatement au delà cette corniche est rompue. En conséquence l’arête que nous suivons se termine abruptement et il ne peut être question d’aller plus loin, devant nous s’ouvre un espace incommensurable. Six à huit mètres à notre gauche, la véritable arête, sans la moindre corniche de roc, monte rapidement en une série de degrés à pic. Ce n’est pas cette arête que nous regardons, mais bien la face nue qui étend ses à pics au dessous. Eussions-nous même pu atteindre le bas de cette face, que aucun grimpeur ne pouvait espérer s’y cramponner ; du reste nous ne pouvions même pas y arriver : entre elle et nous se trouvait le plus effroyable abîme qu’il m’ait été donné de voir. Cette formation d’arête est unique, à en juger d’après l’expérience de chacun des membres de notre caravane. Cela donnait l’impression qu’il y avait deux arêtes, séparées l’une de l’autre par un abîme infranchissable. Il n’est donc pas étonnant qu’une horreur noire se soit emparée de nous. Il ne fallait pas penser à revenir sur nos traces, et avancer semblait impossible. Nous étions là, totalement impuissants ; nos dents claquaient de froid, un brouillard cruel nous pénétrait de son humidité et venait ajouter l’obscurité à nos autres embarras.

Fort heureusement, au bout de quelques minutes, nous commençons à revenir du choc mental causé par cette coupure tout à fait dramatique de l’arête, et nous entreprenons de réduire ses apparences terrifiantes aux étroites mais tristes limites de la réalité. Comme nous sommes sur une corniche dominant un précipice, il devient évident qu’il nous faut descendre de cette corniche à la véritable arête et de là chercher à attaquer les difficultés qui se présentent en face. Descendre n’est pas très facile, les dalles rocheuses étant en pente abrupte au-dessus du