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LA TEUFELSGRAT

nous cachant entièrement toute vue du reste de l’arête. Une courte consultation des guides détermine la meilleure route à suivre, et Andenmatten avance encore à l’attaque. La base de la tour fut bonne et peu à peu les difficultés semblaient céder. Le visage du guide-chef rayonnait de fierté et de plaisir au fur et à mesure qu’il emportait rocher après rocher, mais, hélas ! il oublia le proverbe bien connu, l’orgueil précède la destruction et l’esprit s’exalte avant la chute[1].

Salomon devait encore une fois être justifié, et le joyeux Andenmatten devait en être victime. Une dernière et petite dent de rocher arrêtait ses progrès : comme elle ne lui offrait pas de prises suffisantes, il appela Burgener à son aide. Il traita comme une insulte la proposition qui lui fut faite de quitter le sac, et une minute après, aidé d’une poussée amicale, il avait non seulement trouvé une bonne prise sur le sommet de la dent, mais il avait même pu y poster les bras. La dent se trouvait donc à tout prendre complètement escaladée, quand, avec horreur, nous voyons ses bras glisser, et, après un dernier effort convulsif pour trouver à agripper quelque roc avec ses doigts, il est précipité la tête en bas le long de la muraille. Longtemps avant que le commandement de (i Tenez bon » ait pu être lancé, nous le vîmes glissant sur une pente de rocher verglassée, quelques cinq mètres en dessous de nous, les pieds en l’air, les bras étendus, le sac pendu par une seule bretelle, son chapeau roulant dans l’espace. Burgener avec une admirable prestesse avait déjà apporté l’aide de la corde que Andenmatten était encore en pleine chute, et sa poigne de fer avait heureusement pour nous soutenu l’effort. J’étais encore cramponnée à une protu-

  1. Contritionem præcedit superbia : et ante ruinam exaltatur spiritus (Prov., XVI, 18). — M. P.