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LA TEUFELSGRAT

rudes étaient les couvertures. Chacun s’irritait dans la vaine attente du sommeil, quand, vers onze heures, la porte reçut un formidable coup, suivi d’un mugissement terrifiant. Nous nous dressons tous, saisissant piolets et télescopes, bâtons et souliers ferrés, toutes les armes enfin avec lesquelles nous aurons chance de tuer ou tout au moins de mettre en fuite le monstre qui a osé attaquer notre forteresse. La porte est ouverte brusquement et avec de grands cris nous nous élançons dehors ; c’est notre vieil ennemi le taureau. Il se rend compte de la vigueur et de la furie de ses assaillants et se prend à fuir en faisant retentir les échos de ses ronflements et de ses grognements indignés.

L’incident nous servit d’excuse favorable pour abandonner toute idée de sommeil. Bientôt nos préparatifs de départ étaient faits et à 1 h. 30 mat. tout était prêt. Les deux lanternes, habilement préparées avec deux bouteilles de Champagne vides dont on a fait sauter le fond, sont allumées ; nous disons adieu à nos amis, et nous nous plongeons dans l’humidité des hautes herbes. Le sentier est bientôt perdu sans retour et nous travaillons il trouver notre route le long du torrent dont nous suivons la rive gauche jusqu’à la moraine. Je ne veux faire de peine à personne en rappelant de cruelles émotions, suites d’un malsain et indigeste souper pris à huit heures du soir, d’une nuit sans sommeil, et enfin d’un plus indigeste déjeuner fait à une heure du matin ; la vérité pourtant me force à admettre que, lorsque ces désagréables sensations sont encore accentuées par la marche sur une mauvaise moraine, désagrégée et éclairée par la lumière vacillante d’une chandelle d’un sou fichée dans une bouteille de Champagne, on ne peut qu’être pleinement d’accord avec les hommes, quand ils laissent