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tout cela me rendait ce jour là particulièrement désagréable. Je repris mes sens et mon sang-froid au coucher du soleil, en un mot, je me rétablis ; le mécontentement n’est-il pas une vraie maladie. Or, cette maladie m’avait remis en tête l’histoire du tailleur de pierres javanais ; et il se peut bien qu’alors je me sois mis à penser cette histoire tout haut, en me persuadant que je le faisais uniquement par bienveillance pour cette enfant. En somme, c’était la dernière goutte d’une potion nécessaire, et bienfaisante que j’avalais là. Cette enfant me guérissait, sans s’en douter, du moins pour quelques jours. Voici, ce que je lui racontai :

— Oepi, il y avait un homme, qui cassait des pierres, ou plutôt, qui les taillait dans un rocher. Son travail était plus que rude, et il travaillait beaucoup ; mais il gagnait peu, et il n’était ni content, ni heureux.

Il soupirait à cause de la fatigue que lui causait ce dur labeur, et de temps à autre, il s’écriait : Ah ! si j’étais riche je me reposerais sur un beau lit avec une couverture de soie rouge.

Et un ange descendit du ciel, qui lui dit :

— Qu’il soit fait selon votre désir.

Et il fut riche, et il se reposa sur un divan aux tentures de soie rouge.

Mais le roi du pays passa. Il était dans un superbe carrosse de gala, précédé de nombreux cavaliers. Derrière lui venait une autre troupe de gens à cheval, et l’on tenait le dais d’or au-dessus de sa tête.

L’homme riche, en voyant cela, se mit à se désespérer de ce qu’il n’avait pas le droit de se faire tenir un dais d’or au-dessus de sa tête ; et il n’était ni content, ni heureux.