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là n’offre que peu de distractions. En outre, je me trouvais dans une disposition d’esprit assez triste, à laquelle plus d’une cause contribuait. D’abord j’avais un amour malheureux au cœur… à cette époque, c’était mon pain quotidien ! — puis, j’étais en proie à une crise d’ambition ! Je me faisais roi et l’on me détrônait ! Je montais sur une tour, et j’en tombais la tête la première ! Vous dire la cause de ces rêveries, est inutile ! Passons ! Somme toute, je voyageais dans cette pirogue, en proie à une humeur de dogue, et faisant une mine rien moins que gracieuse. Comme disent les Allemands, il valait mieux me laisser que me prendre ! Entre autres choses, je me disais à part moi qu’il n’y avait aucune raison de me faire inspecter des plantations de poivriers, et que depuis longtemps j’aurais dû être nommé gouverneur d’un système solaire.

Ensuite, mettre un esprit comme le mien, dans une pirogue, avec ce chef stupide et sa progéniture, me semblait un assassinat moral.

Je dois vous dire, néanmoins, que d’ordinaire j’aimais assez les chefs malais, et je m’entendais avec eux. Ils ont assez de qualités pour que je les préfère aux grands de Java. Je sais bien, mon cher Dipanon, que, là dessus, vous ne tombez pas d’accord avec moi… du reste, vous n’êtes pas le seul… Il y en a peu qui m’accordent ce point là… Mais, pour le moment, nous le laisserons de côté… et je reprends :

Si j’avais entrepris ce voyage un autre jour, un jour où je ne me serais pas mis martel en tête, il est probable que j’aurais immédiatement entamé une conversation avec ce chef ; peut-être même me fussé-je dit qu’il en valait bien la peine. Dans ce