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canon, les bouclés ne sont pas des fusils et les longues queues ne valent pas des baïonnettes. » Suwarow était jalousé, les soldats l’adoraient, mais les chefs, dont il proscrivait le luxe et sur lesquels il faisait peser une discipline rigoureuse, le détestaient ; le propos qu’il avait tenu, et qui donna lieu à beaucoup d’autres que tinrent à l’envi les soldats russes, fut rapporté à l’Empereur. Paul, vivement irrité, fit demander à Suwarow sa démission.

Le feld-maréchal voulut que ce fût de lui-même que son armée apprît qu’il allait cesser de la commander, et il fut extraordinaire dans cette occasion comme dans presque toutes les autres. Il fit ranger ses soldats en bataille devant une pyramide de tambours et de timbales entassés ; il était lui-même à côté de ce monument militaire, en grand uniforme, décoré de tous ses ordres et le portrait de Catherine à la boutonnière. « Camarades, dit-il aux soldats, je vous quitte peut-être pour longtemps, peut-être pour toujours, après avoir passé cinquante ans parmi vous sans jamais vous perdre de vue, que quelques instants. Votre père qui mangeait et buvait avec vous, couchait au milieu de vous, va manger, boire et coucher dans la solitude de ses enfants, et pensant à eux pour toute consolation. Telle est la volonté de notre père commun, de notre empereur et maître. Je ne perds pas l’espoir qu’elle s’adoucira un jour en faveur de ma vieillesse : alors, quand Suwarow reparaîtra au milieu de vous, il reprendra ces dépouilles qu’il vous laisse comme un gage de son amitié et un appel à vos souvenirs ; vous n’oublierez pas qu’il les portait toujours dans les batailles qu’il remportait à votre tête. » — Et se dépouillant de tous ses ordres, il les déposa sur l’espèce de trophée qu’il avait à côté de lui, ne gardant sur sa poitrine que le portrait de l’impératrice.

Victime d’une injustice, Suwarow n’était pas accoutumé à baiser la main qui l’avait frappé aussitôt qu’elle redevenait équitable et bienfaisante. Il était disgracié et exilé dans ses terres, lorsque Paul Ier, entrant dans la coalition formée contre la France, voulut lui donner le commandement de l’armée qu’il envoyait en Italie au commencement de l’année 1799. L’Empereur adressa à Suwarow une lettre dont on a toujours ignoré le contenu, mais qui portait pour inscription, en gros caractères, ces mots de bon augure : Au feld-marcchal Suwarow. « Cette lettre n’est pas pour moi, dit le vieux guerrier, en lisant l’adresse : si Suwarow était feld-maréchal, il ne serait pas isolé et gardé dans un village : on le verrait à la tête de l’armée. » Il fallut que le courrier reportât la lettre cachetée à l’Empereur.

Mais faire la guerre aux Français, dont la gloire l’importunait, c’était combler les vœux de Suwarow, il avait voué une haine implacable à une nation dont les brillants exploits éclipsaient tous les siens. Le premier moment d’humeur passé, et croyant avoir fait suffisamment comprendre à l’Empereur l’injustice de sa conduite, il accepta le commandement qui lui était offert, et le 18 avril 1799, il prit le commandement en chef des armées combinées austro-russes. Il avait introduit dans son armée un maniement d’armes particulier ; lorsque l’officier commandait marche aux Turcs, les soldats portaient la baïonnette en avant ; à l’ordre marche aux Prussiens, le mouvement était accéléré et la baïonnette croisée deux fois ; mais aux mots marche aux Français, le soldat devait s’élancer avec impétuosité, réitérer par trois fois l’action de la baïonnette, l’enfoncer dans la terre, qui figurait alors les Français abattus, et la retourner avec force.

Selon quelques-uns des biographes, Suwarow avait défendu d’enseigner