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des nations. C’était le 19 octobre 1813, troisième jour de la bataille, la nuit avait terminé l’action, le calme avait enfin succédé à cette terrible mêlée, quelques coups de fusil seulement se faisaient entendre de loin en loin. L’Empereur, assis sur un pliant, près du feu de son bivouac, dictait au major général des ordres pour la nuit, lorsque les commandants de l’artillerie vinrent lui dire que les munitions étaient épuisées. On avait tiré dans la journée 95 mille coups de canon ; depuis cinq jours on en avait tiré plus de 220 mille ; les réserves étaient vides : il ne restait pas plus de 16 mille coups, c’est-à-dire de quoi entretenir le feu pendant deux heures à peine. Dans cette position, il ne fallait pas songer à conserver plus longtemps le champ de bataille ; Napoléon se décida à la retraite, et des ordres furent sur-le-champ expédiés. A huit heures, il quitta le bivouac et s’établit dans la ville à l’auberge des Armes de Prusse. La retraite commença par les corps des maréchaux Victor et Augereau ; le maréchal Mar-mont devait se maintenir dans le faubourg de Halle ; la défense du faubourg de Rosenthal avait été confiée au général Régnier ; le maréchal Ney fit replier ses troupes sur les faubourgs de l’Est ; les corps de Poniatowski, de Lauriston et Macdonald, formant l’arrière-garde, rentrèrent en ville et s’établirent derrière les barrières du Midi ; le maréchal prince Poniatowski vient prendre les ordres de l’Empereur : « Prince, lui dit Napoléon, vous défendrez les faubourgs du Midi.— Sire, j’ai bien peu de monde. — Eh bien ! vous vous défendrez avec ce que vous avez. — Nous tiendrons, Sire, nous sommes tous prêts à nous faire tuer pour Votre Majesté. » Le noble Polonais ne devait pas tarder à tenir sou serment.

Cependant, il devenait important de s’assurer du grand pont de l’Elster. Napoléon recommanda ce point essentiel à l’attention des officiers du génie et de l’artillerie. — « On devra, dit-il, le faire sauter quand le dernier peloton sortira de la ville et qu’il ne restera plus que cet obstacle à opposer à l’ennemi. » — A l’instant on commença à miner le pont. Ces ordres donnés, il recommanda au maréchal Macdonald de tenir dans* la vieille ville vingt-quatre heures encore, si faire se pouvait, ou, au moins le reste de la journée. Tout à coup en entendit une explosion terrible : c’était le pont de l’Elster. Cependant les troupes de Macdonald, de Laurislon, de Poniatowski, de Régnier étaient encore dans la ville, avec plus de 200 pièces de canon. Tout moyen de retraite était enlevé ; le désastre était à son comble. On apprit le soir, sur la route d’Erfurth, que Macdonald avait traversé l’Elster à la nage ; quant à Poniatowski, ayant voulu, quoique blessé, franchir le fleuve à la nage, il avait trouvé la mort dans un gouffre.

On apprit bientôt la cause de la catastrophe du pont : les Badois et les Saxons venaient d’abandonner la cause de la France ; du haut des murs de la vieille ville, ils signalaient leur trahison en tirant contre les Français. Trompé par cette double fusillade, le sapeur posté au pont crut que l’ennemi arrivait et que le moment était venu de mettre le feu à la mine. Ainsi fut consommée la perte de tout ce que Leipzig renfermait de Français et de munitions.

Le corps de Poniatowski, retrouvé seulement le 24., fut embaumé et porté par ses compagnons d’armes à Varsovie, puis de là à Cracovie dans le tombeau des rois de Pologne, où il repose à côté de Sobieski et de Kosciusko. Aux funérailles de ce héros célèbre, à Leipzig, les vainqueurs et les vaincus réunis, y représentaient l’Europe entière pleurant sur la tombe du dernier des Polonais.

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