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fallait, pour y monter, grimper sur une élévation de terre et de sable ; un grand nombre de sacs de laine, de pierres, etc., étaient épars derrière la muraille renversée. Ces matériaux avaient été probablement entassés pour remplir la brèche. On voyait derrière la brèche des débris de maisons crevées par la violence de l’explosion. Les corps sanglants et brûlés des Africains et des soldats français gisaient ici les uns si près des autres, que nous ne pouvions pénétrer dans la ville qu’en marchant sur ces morts. La plupart des cadavres étaient horriblement mutilés ; plusieurs étaient sans tête, ou le visage tellement noirci par les brûlures, qu’on ne pouvait plus distinguer les blancs européens des Kabyles basanés et des nègres. Dans les rues de la ville, au contraire, les cadavres n’étaient point mutilés ; les groupes de morts y avaient même quelque chose d’imposant : là, on avait combattu face à face, et le Français reposait comme réconcilié sur la poitrine du Kabyle. Il y avait une expression de tranquillité héroïque dans les pâles figures des Français ; ils paraissaient dormir, tandis que les traits sanglants des Maures et des Kabyles étaient défigurés par des grimaces atroces.

« Je n’oublierai jamais la figure à longue barbe d’un vieux Maure ou Turc que je vis assis, appuyé vers le coin d’une maison, les yeux et la bouche ouverts, la main gauche fermée et étendue vers le ciel, tandis que la main droite tenait encore un pistolet ; cette figure avait quelque chose d’horriblement menaçant.

« Parmi les épisodes de ces scènes de carnage, j’ai remarqué un trait d’humanité qui m’a paru plus digne d’admiration qu’un acte d’héroïque bravoure : Au milieu du pillage, j’aperçus un officier du génie, qui portait avec le plus grand zèle les cadavres des soldats de son arme dans des lieux écartés, afin que ceux qui pillaient et qui, dans leur fureur, se précipitaient d’une maison dans l’autre en marchant avec indifférence sur les corps de leurs camarades, ne pussent point les mutiler. Puis, le même officier courait dans les maisons les plus proches pour en protéger les habitants tremblants et en chasser les pillards furieux. Deux Maures aveugles étaient debout au coin d’une des rues, ne sachant peut-être point ce qui se passait, ils étendaient leurs mains et demandaient du pain ; leurs figures douces et belles avaient une singulière expression de prière, « C’est trop, s’écria un soldat, ces coquins nous demandent encore du pain ! — À qui voulez-vous qu’ils en demandent ? dit l’officier ; ces pauvres diables n’ont plus que nous pour leur en donner. » Et il courut vers des soldats de son corps et leur demanda un morceau de biscuit pour les ennemis aveugles. Cela eut lieu après le carnage le plus atroce.

« Cet homme généreux dont je crois devoir citer ici publiquement le nom, était M. Chandon, lieutenant du génie d’état-major.

« Lorsque le bruit du combat eut cessé, on enterra les morts avec assez peu de cérémonie, on jeta tous ensemble Français et Africains dans une grande fosse.

« Il ne resta plus rien à faire qu’à se promener et à prendre un coup d’œil de la ville.

« L’intérieur de Constantine ressemble à peu près à toutes les autres villes de la Barbarie : des maisons sans croisées, ayant des cours intérieures et des galeries à colonnes, des rues étroites, sombres, sales et puantes, quelques marchés publics, une immense quantité de cafés et de boutiques, voilà le tableau général de la ville intérieure. Les mosquées ne sont pas plus belles que celles d’Alger.

« Le palais du célèbre Ben-Aïssa n’est pas très-brillant, les galeries n’ont pas