Page:Mullié - Biographie des célébrités militaires des armées de terre et de mer de 1789 à 1850, II.djvu/378

Cette page n’a pas encore été corrigée

guère plus d’un quart d’heure ; mais il fut bien meurtrier ; trois ou quatre cents morts, Français, Zouaves, Kabyles et Turcs gisaient pêle-mêle sur le sol.

« Pendant la durée de la lutte, nous autres spectateurs, postés sur le Coudiat-Aty, nous éprouvions des émotions indicibles. J’ai été plusieurs fois dans ce pays témoin d’expéditions militaires ; j’ai admiré partout la valeur brillante, héroïque de l’armée française ; mais, cette fois mon admiration fut portée au comble : ici le péril était formidable ; la mort était presque certaine pour les premiers assaillants ; pourtant il n’y eut pas un seul homme dont le cœur faiblît, dont le pas se ralentît ou chancelât. Les chefs et notamment les sous-officiers donnaient aux soldats l’exemple de l’intrépidité, aussi le nombre des morts sur la brèche fut-il égal parmi les officiers et sous-officiers et parmi les soldats. La ville de Constantine avait encore au moment de l’assaut 6.000 défenseurs. Les Turcs les plus braves se jetaient, le yatagan à la main, au-devant des assaillants et expiraient sous les coups des baïonnettes ; mais à la fin la terreur de la mort s’emparait de ces âmes fanatiques, et cependant ils étaient convaincus qu’une main chrétienne en leur donnant la mort les envoyait au paradis.

« Les habitants continuèrent quelque temps encore leur résistance dans les rues, pour s’assurer la retraite vers la Kasbah et une issue hors la ville ; beaucoup s’élancèrent à travers des rochers, vers la plaine, du côté du midi ; plusieurs se tuèrent en tombant, d’autres se blessèrent ; quelques-uns se traînèrent péniblement jusqu’aux jardins méridionaux, ou furent emportés par leurs parents : 200 cadavres gisaient au pied des rochers. Avec la résistance des habitants de la ville cessa la fureur des soldats français, mais on ne pouvait les empêcher de piller. Cependant aucun habitant ne périt pendant le pillage. Vers 9 heures, le drapeau tricolore avait remplacé sur le rocher le drapeau rouge. La palme de la victoire est due à la première colonne et à son brave chef, le colonel Lamoricière. Cet intrépide officier, le visage brûlé, presque privé de la vue, conduisit les Zouaves jusqu’à la Kasbah. La deuxième colonne soutenait la première avec zèle ; mais les dangers qu’elle courait n’étaient plus les mêmes : l’explosion de poudre avait déjà eu lieu lorsqu’elle arriva sur la brèche ; le colonel Combe, le commandant de cette seconde colonne, fut frappé par deux coups de fusil lorsqu’il se trouvait sur la muraille ; cependant il continua à commander ses soldats jusque dans la ville ; ce ne fut qu’alors qu’il se rendit auprès du duc de Nemours, lui fit son rapport, et ajouta enfin avec le plus grand sang-froid : « Monseigneur, permettez maintenant que je me retire, je suis blessé mortellement ; je vous recommande ma malheureuse famille. » Il avait su tellement se contenir pendant qu’il faisait son rapport, que le prince ne s’était point aperçu de l’état où il se trouvait. Le colonel Combe eut encore la force de retourner presque seul au bivouac de son régiment, où trois jours après il fut enterré. Vers dix heures du matin, le massacre avait entièrement cessé, et dès ce moment aucun coup de fusil ne fut tiré. Les Arabes et les Kabyles qui, du haut de leurs collines, avaient été témoins de l’assaut, se retirèrent en silence lorsqu’ils ne virent plus le drapeau rouge.

« Tous les curieux de l’armée accoururent alors pour voir l’intérieur de cette sombre ville qui, dans le cours d’une année, avait été le théâtre de deux catastrophes, et dont la prise venait d’être achetée au prix de tant de sang. La brèche avait trente pieds de largeur ; il