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rassemblaient autour d’eux leurs auditeurs, leur parlaient politique et annonçaient les futures destinées de l’Europe. Les honnêtes et simples recrues de la Bretagne et de la Vendée écoutaient en silence, avec une foi religieuse, ces oracles de Paris qui ne savent douter de rien. Dès qu’il a mangé le potage au riz et rongé le biscuit sec, le soldat français se fait un lit aussi commode que possible.

« Une fois, je vis un soldat du bataillon d’Afrique ouvrir un tombeau arabe, en déloger l’antique habitant et se coucher à sa place. D’autres restaient debout autour du feu pendant presque toute la nuit, causant et se faisant du café.

Les scènes du bivouac arabe sont toutes différentes. Dès que les spahis qui forment toujours l’avant-garde ont atteint le lieu destiné au repos, ils attachent les pieds de leurs chevaux, rangés sur deux colonnes, à des piquets de bois. Après ces soins, tous les Arabes se rassemblent pour faire la prière. Tournés vers l’Orient, ils se jettent à terre, la tête en avant, se relèvent et se couchent de nouveau, presqu’à l’instar des épileptiques, tandis qu’un d’entre eux murmure la formule de la prière. Quelquefois les rayons du soleil couchant, éclairant leurs visages à larges barbes, donnent à ces groupes, absorbés par la prière, un caractère de sainteté qui inspire en effet la vénération. Mais sitôt qu’il s’est acquitté de ce devoir pieux, l’Arabe devient gai et enjoué comme un enfant. On chauffe le kouskousou, on allume les pipes. Les plus jeunes des spahis commencent leurs jeux ; les plus âgés les regardent, assis en deux cercles, les jambes croisées ; les chevaux forment le fond du tableau et sont comme les spectateurs du côté opposé. Les jeux des Arabes sont des drames ou des pantomimes, représentant des amours, des chasses, des combats, tableau des mœurs du désert. Ces hommes habituellement si graves et si sérieux se livrent à cet amusement avec une vive gaîté : ils rient, ils plaisantent, ils crient quelquefois à troubler le sommeil de leurs camarades français. Quand ils ont assez de ces divertissements, ils forment ensemble un assez grand cercle ; ils placent au milieu de ce cercle une lanterne de papier, et l’un d’eux commence un chant guttural en s’accompagnant d’une guitare de structure barbare ; les autres écoutent immobiles et silencieux. Ils passent ainsi leur soirée jusqu’à une heure avancée de la nuit. Souvent j’ai vu, après minuit, lorsque la plupart des feux des Français étaient éteints, les Arabes assis sous les étoiles, écoutant le troubadour qui leur chantait les délices amoureuses des douaires. Vers quatre heures du matin on sonnait le réveil au camp. La musique de chaque régiment jouait ses airs les plus doux. Quelle misère brillante est la misère du soldat ! Une musique suave lui donne la force et la patience, et ranime ses membres engourdis par le brouillard et la rosée glaciale du matin.

Dès qu’il faisait assez jour pour distinguer la route, l’avant-garde se mettait en marche ; tous les corps suivaient dans l’ordre prescrit. L’artillerie et l’immense convoi se traînaient ensuite, puis venaient la troisième et la quatrième brigade qui avaient rejoint l’armée le 1er octobre. Le 5 octobre nous aperçûmes enfin du sommet d’une hauteur couronnée par les ruines d’un beau monument romain le but de notre pèlerinage. Constantine ! Constantine ! crièrent les soldats en faisant retentir leurs armes. Je crois, en vérité, que le cri Moscou ne fut pas répété avec plus d’enthousiasme par la grande armée de Napoléon. Certes, l’aspect d’une ville avait quelque chose de fort bienfaisant après une marche de cinq jours à travers un