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rempart granitique n’avait que 40 à 45 pieds d’élévation. Au-dessous de cette muraille, lisse comme un marbre poli, s’étendait un talus si rapide, qu’à la première vue on n’eût certes pas cru que des hommes pussent l’escalader. Au-dessus de ce talus, à 500 pieds du roc, était une espèce de ravin, et 1,200 pieds plus haut encore, le fort Sainte-Barbe, dont les batteries battaient le talus en passant pardessus le ravin dans lequel les boulets ne pouvaient plonger.

« Lamarque s’arrêta en face du rentrant, appela à lui l’adjudant-général Thomas et le chef d’escadron Livron. Tous trois tinrent conseil un instant ; puis ils demandèrent des échelles.

« On dressa la première échelle contre le rocher: elle atteignit à peine au tiers de sa hauteur, on ajouta une seconde échelle à la première, on l’assura avec des cordes, et on les dressa de nouveau toutes deux : il s’en fallait de douze ou quinze pieds, quoique réunies l’une à l’autre ; qu’elles atteignissent le talus; on en ajouta une troisième; on l’assujettit aux deux autres avec la même précaution qu’on avait prise pour la seconde, puis on mesura de nouveau la hauteur : cette fois les derniers échelons touchaient à la crête de la muraille. Les Anglais regardaient faire tous ces préparatifs avec un air de stupéfaction qui indiquait clairement qu’une pareille tentative leur semblait insensée. Quant aux soldats, ils échangeaient entre eux un sourire qui signifiait : bon, il va faire chaud tout à l’heure.

« Un soldat mit le pied sur l’échelle: « Tu es bien pressé, » lui dit le général Lamarque en lé tirant en arrière, et il prit sa place. La flottille tout entière battit des mains. Le général Lamarque monta le premier, et tous ceux qui étaient dans la même embarcation le suivirent. Six hommes tenaient le pied de l’échelle, qui vacillait à chaque flot que la mer venait briser contre le roc. On eût dit un immense serpent qui dressait ses anneaux onduleux contre la muraille.

« Tant que ces étranges escaladeurs n’eurent point atteint le talus, ils se trouvèrent protégés contre le feu des Anglais par la perpendicularité même de la muraille qu’ils gravissaient; mais à peine le général Lamarque eut-il atteint la crête du rocher, que la fusillade et le canon éclatèrent en même temps: sur les quinze premiers hommes qui abordèrent, dix tombèrent précipités. A ces quinze hommes vingt autres succédèrent, suivis de quarante, suivis de cent. Les Anglais avaient bien fait un mouvement pour les’ repousser à la baïonnette; mais le talus que les assaillants gravissaient était si rapide, qu’ils n’osaient point s’y hasarder. Il en résulta que le général Lamarque et une centaine d’hommes, au milieu d’une pluie de mitraille et de balles gagnèrent le ravin, et là, à l’abri comme derrière un épaulement, se formèrent en peloton. Alors les Anglais chargèrent sur eux pour les débusquer; mais ils furent reçus par une telle fusillade qu’ils se retirèrent en désordre. Pendant ce temps l’ascension continuait et. cinq cents hommes à peu près avaient déjà pris terre.

« Il était quatre heures et demie du soir. Le général Lamarque ordonna de cesser l’ascension : il était assez fort pour se maintenir où il était, et, effrayé du ravage que faisaient l’artillerie et la fusillade parmi ses hommes, il voulait attendre le nuit pour achever le périlleux débarquement. L’ordre fut porté par l’adjudant-général Thomas, qui traversa une seconde fois le talus sous le feu de l’ennemi, gagna contre toute espérance l’échelle sans accident aucun, et redescendit vers la flottille dont il prit le commandement, et qu’il mit à l’abri de tout