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Il tomba sur une annonce de Dulieu qui offrait en vente des « lots » à Saint-Augustin, au prix de trois cents dollars pour quatre mille pieds de superficie. Ce prix parut énorme au père Beaulieu. C’était sa « terre » qui se vendait ainsi et qui allait rapporter une fortune à Dulieu !

Il en fut tout saisi. Il montra la réclame à sa femme, à sa fille et à Henri, qui se récrièrent avec lui sur une chose aussi extraordinaire. On aurait parlé d’eux dans le journal qu’ils n’auraient pas été plus surpris, plus émerveillés ni plus flattés.

L’annonce disait positivement : « Chance exceptionnelle d’acquérir une propriété à bon marché à la campagne. Une terre, située le long de la rivière, à Saint-Augustin, dans les montagnes du nord de Montréal », ― C’était bien cela, c’était la terre du père Beaulieu.

Dans une autre page du journal, Dulieu offrait en vente une « subdivision » dans l’île de Montréal. Les « lots » n’y coûtaient que deux cents piastres, mais ils devaient être portés à deux cent cinquante piastres dans un mois. Pourquoi allaient-ils ainsi augmenter de valeur, d’une façon magique, l’annonce ne le disait pas : Dulieu seul connaissait le secret. Un plan montrait un superbe boulevard qui traversait la subdivision. Ce boulevard devait être tracé d’un côté à l’autre de l’île. L’annonce ne disait pas par qui il serait construit, pas plus qu’elle ne disait pourquoi les « lots » prendraient une valeur additionnelle déterminée de cinquante piastres chacun, dans le mois, mais il était indubitable que le boulevard figurait fort bien dans le plan.

Le père Beaulieu crut avoir trouvé l’occasion qu’il cherchait de faire fructifier rapidement son argent et il résolut d’aller voir Dulieu, qui avait cessé de venir à l’épicerie, depuis le commencement de l’été, car il villégiaturait à Saint-Augustin et ne passait en ville que le temps absolument nécessaire pour ses affaires.

Sa première visite ne fut pas heureuse : Dulieu était absent. Il dit au commis ce qui l’amenait et le commis lui assura que les prix ne monteraient pas avant quelques semaines et qu’il aurait le temps de conclure une transaction avec monsieur Dulieu pendant que les lots étaient bon marché.

Il ajouta qu’il préviendrait Dulieu de la visite du père Beaulieu et il se dit certain que l’agent d’immeubles réserverait quelques uns de ses meilleurs lots pour le visiteur.

L’épicier se fit nommer le jour auquel Dulieu serait à son bureau et il revint fidèlement, au jour dit.

Dulieu l’attendait, prévenu par son commis. Il avait fait déployer les plans des différents terrains qu’il offrait en vente, mettant bien en évidence celui où se trouvaient les « lots » convoités par le père Beaulieu. Il avait aussi préparé un boniment qui obtint sur l’acheteur en perspective tout l’effet désiré. Si le père Beaulieu était désireux de confier son argent à Dulieu, en entrant dans le bureau de l’agent d’immeubles, après avoir entendu celui-ci, il croyait fermement qu’il manquerait « la chance de sa vie » en n’achetant pas, et il aurait voulu si-