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ver.

Il faisait beau ; et les habitants venaient par sept, huit, debout dans des traînes à bois.

Une foule compacte était assemblée, quand les discours commencèrent.

Comme l’honorable Potvin traversait la foule pour se rendre au husting, il aperçut Giroux, qui chauffait l’enthousiasme et était partout à la fois. Giroux salua et le ministre s’inclina légèrement.

Eut-il la conscience du contraste qu’ils présentaient, lui le ministre taré, l’homme de tous les compromis, sali dans toutes les spéculations louches, et demain tombé, et son ancien secrétaire, fier et droit dans sa noble jeunesse, qui avait brisé sa carrière plutôt que de commettre une indélicatesse et devant qui s’ouvrait un avenir plus beau ?

Je ne sais.

Il hâta le pas et apparut bientôt sur l’estrade.

Leblanc y était déjà rendu ; ce fut lui qui prit la parole le premier.

Il fut très clair et très probant.

Il démontra que le gouvernement ne fait rien : 10 pour l’industrie : 20 pour le commerce ; 30 pour la colonisation ; 40 pour l’éducation. Puis il fit justice des prétendues mesures admirables du gouvernement, qui ne sont que de l’argent jeté à l’eau. Il prouva ensuite l’incurie des ministres et leurs malversations. C’était clair comme deux et deux font quatre ; et aucun doute ne s’éleva dans l’esprit des auditeurs.

Le ministre se leva alors et entreprit de réfuter Édouard. Voyant que ses tirades ne prenaient pas beaucoup, il tenta les personnalités et laissa avec dédain tomber les yeux sur son jeune adversaire. Les bras croisés, avec un calme superbe, Édouard tourna vers lui son regard droit et clair, qui fit baisser les yeux à Potvin, comme un hibou auquel on montre la lumière.

Quand Édouard se leva pour répondre, une tempête grondait en lui.

Il se contint cependant et commença, d’une voix un peu au-dessous de son diapason ordinaire, mais qui portait au loin.

Il fit un parallèle entre Bigot, d’odieuse et sinistre mémoire, et l’administration actuelle, qui fit frémir ; et il conclut en disant : « Bigot sortait d’une cour corrompue et éhontée ; vous, vous êtes l’indigne descendant d’une race de héros et de preux ; vous avez volé, tous deux, mais je vous préfère encore Bigot, car, en les affamant, il ne volait que la vie à nos pères ; vous, monsieur le ministre, par votre exemple et par votre conduite honteuse, vous leur volez l’honneur et le patriotisme, et c’est pire. »

« Voilà, » ajouta-t-il, avec un geste qui électrisa la foule, « voilà ce qui reste pour tenir la place de Papineau, de Morin et de Lafontaine : un sans patriotisme, un vulgaire noceur. »

« Eh ! bien, monsieur le ministre, vous avez raison : jouissez de la vie et ne vous souciez pas des affaires du pays, car vous êtes indigne de vous en occuper. »

L’honorable Potvin blêmit et voulut répondre ; mais l’heure de la discussion était passée et c’est ce qu’on lui fit comprendre.

Cette journée fut un succès pour Édouard, succès qui ne fit que grandir, car il allait de paroisse en paroisse, parlant avec une conviction et un feu irrésistible.

Aussi était-il joliment fatigué, le soir de la votation.

Giroux avait voulu qu’il se reposât chez lui et s’était chargé du soin de le renseigner sur l’issue de la lutte.

Paisiblement assis ensemble, ils at-