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Ils n’abandonnaient rien au hasard et travaillaient avec une ardeur sans pareille.

Surtout, ils évitaient cet écueil dont tous ne savent pas se défendre, qui font la perte et le ridicule de ceux qui viennent s’y briser.

Pas de victoire tant que tous les votes ne sont pas donnés.

Pas de foi ajoutée aux racontars d’ivrognes.

Pas de pointage fantaisiste des listes ni de repos prématuré sur des lauriers encore peu assurés.

Pas de gestes ni de discours inutiles ; pas de harangues interminables entre amis, — histoire de s’admirer, de perdre son temps et de le faire perdre aux autres.

Pas de tâches importantes confiées au premier venu.

Pas de cabaleurs absurdes, qui indisposent ceux qu’ils auraient dû amener à leur candidat.

Mais tout avec ordre, dignité, sérieux et avec une persévérance d’acier.

Les listes étaient soigneusement checquées ; puis, on allait voir même les bons partisans, estimant que leur zèle avait droit à cet encouragement ; ensuite, on passait aux douteux, qu’on convertissait bon gré mal gré ; après quoi, on tâchait, dans une certaine mesure, de réduire même les radicaux.

Édouard faisait tout le comté, maison par maison, et était aidé, dans cette tâche herculéenne, par l’infatigable Giroux.

Celui-ci ne s’échappait qu’une journée par semaine, pour faire son journal, qu’il couvrait d’articles à l’emporte-pièce, — vrais chefs-d’œuvre de littérature électorale — et qu’il répandait ensuite à foison.

Pendant ce temps, Blanche était à la maison Leblanc ; madame Leblanc l’avait voulu ainsi, désirant qu’aux rares moments où Édouard pouvait mettre le pied à la maison, il y vit sa fiancée et ne fut pas dans l’obligation délicate de partager entre ses parents et Blanche les quelques minutes qu’il avait à lui.

Blanche l’encourageait et sa vue était pour lui un véritable repos. Elle commençait ainsi à remplir la tâche qu’elle s’était assignée d’être pour celui qu’elle aimait une compagne dévouée et une source de joies et de consolation.

Elle aidait aussi madame Leblanc et Marie-Louise dans le surcroît de travail que leur occasionnait l’élection ; et madame Leblanc ne pouvait s’empêcher d’admirer le caractère ferme et noble de la jeune fille et d’aimer son cœur sympathique et tendre.

Blanche était d’une discrétion admirable ; elle ne s’immisçait pas aux discussions politiques et ne se mêlait pas des détails de l’élection ; non : elle venait tout simplement à Édouard et elle était pour lui la main qui essuie le front brûlant de fatigue et y ramène la fraîcheur et la paix, la voix qui encourage et rassérène, et le cœur qui répond au vôtre.

Arriva enfin le jour de la nomination des candidats, jour auquel devait se tenir une grande assemblée contradictoire.

La veille, la nouvelle désastreuse se répandit que l’honorable Potvin devait descendre prêter son concours au candidat ministériel, Roy, et les partisans d’Édouard, consternés, se demandaient : « qu’est-ce qu’il va pouvoir faire contre de tels adversaires ? » Cependant, ils reprirent un peu courage, en voyant son calme rassurant et la manière dont il continuait à travailler, semblant n’avoir cure des ministres et de leurs foudres.

Dès le midi du jour de la nomination, les gens commencèrent à arri-