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nuit. Souvent on rencontrait d’autres trains ; et leur approche semblait présager une catastrophe.

Au matin, l’air frais et vif qui commença à circuler dans le char annonça qu’on était loin de Montréal et qu’on courait à travers la campagne.

Peu à peu la lumière se fit ; — une belle lumière de magnifique journée d’été ; quelques dormeurs se redressèrent sur leurs sièges ; et les idées d’Édouard, empruntant un peu de clarté et de précision au jour naissant, devinrent moins floues et plus lucides.

Tout en regardant se lever le soleil d’or dans le ciel pourpre, au-delà des prairies humides, il goûtait par avance les joies du revoir. Sa vieille mère, les petites sœurs et les petits frères, Marie-Louise et sa chère Blanche : il allait donc avoir la joie d’être avec eux et de vivre quelques jours sous le toit familial.

— Et Giroux, qu’était-il devenu ? Il avait hâte d’apprendre de sa bouche que le « Progrès » avait de la vogue et que les gens commençaient à être sensibles aux idées neuves et nobles du journaliste.

La vue du fleuve lui rappela les bons bains d’eau salée, après lesquels on se fait sécher au soleil, et la griserie de l’eau, de l’air et du soleil.

À la gare, Giroux, qu’Édouard avait seul prié de venir à sa rencontre, à cause de l’heure matinale, l’attendait.

Ils se dirent bonjour avec effusion ; les premières phrases de bienvenue échangées, ils descendirent vers chez Leblanc, dans le matin radieux, saluant au passage les quelques personnes qui se trouvaient à la gare.

— Et comment te trouves-tu, dans mon chez-moi, à Saint-Germain ?

— À merveille, mon cher, ça va comme je veux. C’est un pays superbe aussi tant au point de vue des paysages que de la santé.

— Quel éclectisme, dit Édouard, avec un sourire.

— Et puis on a été si aimable, chez toi, que je ne sais trop comment te remercier de ta lettre d’introduction.

— C’est ce que je voulais.

— Ta mère est réellement la meilleure personne que j’aie jamais rencontrée.

— Pauvre vieille maman… Et les abonnés ?

— Augmentent.

— Ça paye ?

— Ça paye et ça donne des consolations. Je vis très convenablement et, de plus, je vois mes idées appréciées et je constate les bons résultats de leur diffusion.

— Heureux garçon !… ça me soulage de voir que tu réussis si bien : quand on donne des conseils, on est toujours inquiet sur leurs conséquences ; je suis bien content que tu n’aies pas à regretter celui que je t’ai donné de venir t’établir ici.

— Au contraire, j’ai tout lieu de m’en féliciter et de t’en remercier. Tout marche à souhait. Et sais-tu que je suis joliment respecté et considéré, et que mon journal est en train de devenir une puissance. Si ça continue, c’est moi qui ferai le beau et le mauvais temps, à Saint-Germain.

— Je suis bien forcé de te croire, car tu n’as pas coutume de te vanter.

Giroux se retira à la porte de chez Leblanc et Édouard entra seul.

On imagine les démonstrations que lui fit Marie-Louise, la joie de sa mère, le plaisir et le contentement de tous.

Il avait un peu changé, pris l’air moins jeune ; ses traits s’étaient aussi affinés et affermis ; enfin, il avait tout à fait l’air de quelqu’un. Marie-Louise le remarqua et ne fut pas lente à lui en faire son compliment.

Les premiers embrassements finis,