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Il vidait ses tiroirs et remuait une foule de vieilles choses entassées là, depuis tantôt quatre ans qu’il était le locataire de cette chambre. Une lettre qu’il aperçut attira son attention ; il l’ouvrit et la relut.

C’était une lettre d’Auguste Lavoie, déjà vieille de plus d’un mois, datée de Québec et qui se lisait comme suit :

Château Saint-Louis,
Québec, 8 juillet, 190…


Mon cher Leblanc,

Après bien des allées et venues, de l’hôtel au palais de justice et du palais de justice à l’hôtel, après plusieurs heures passées sur le banc que des cochers fatigués de leurs voitures rembourrées ont installé sur le trottoir de la rue Saint-Louis, en face du palais de justice ; après des stations sur la terrasse, au Jardin-du-Fort et partout où l’on peut s’asseoir pour attendre le résultat d’un examen, je suis reçu avocat.

Je te donne donc l’accolade fraternelle, mon cher confrère.

Les forestiers se saluent en liberté et en mutualité : moi, je te salue en code, en plaidoiries et en chicane.

Les examens ont été joliment durs ; tellement que Soucy est demeuré étudiant.

Il prend bien ça et s’amuse avec nous autres ; mais, au fond, il est joliment affecté, le pauvre diable.

Nous nous sommes promenés en calèche, toute l’après-midi.

La vie est belle quand on est avocat.

J’ai télégraphié la nouvelle chez nous et je remonterai à Montréal demain.

Au plaisir de te serrer la main.

Tout à toi,
Auguste Lavoie.


Cette lettre ramenait Édouard loin en arrière : elle lui rappelait ses premières années de droit, la gaieté, un peu folle parfois, l’initiation aux choses et aux gens, les études, les découvertes qu’un campagnard fait à la Ville, les horizons qui s’ouvrent, les quinze jours que Lavoie et Soucy étaient venus passer avec lui, l’été dernier encore, alors que sa famille était au complet… Que de changements, depuis.

La mort de son père ; les succès et les responsabilités ; l’étude fécondée par le commerce des gens sérieux et par la réflexion ; ses amours, enfin, l’avaient bien changé.

Il était demeuré le même de cœur et d’idées, mais, que son intelligence avait mûri !

Il avait gardé l’enthousiasme et les belles qualités de la jeunesse ; mais la vie qui est une grande éducatrice, quand on comprend ses leçons et qu’on sait s’y soumettre, en avait fait un homme.

Aussi est-ce à des choses sérieuses qu’il pensait en s’occupant à la préparation de son bagage : il entrevoyait l’avenir, il se préoccupait du chemin qu’il suivrait.

Ses préparatifs furent bientôt terminés : il n’emportait que peu de choses, ne devant être absent que deux ou trois semaines. Juste le nécessaire : quelques sous-vêtements et un bon habit chaud, car les soirées commencent déjà à être fraîches, à Saint-Germain, à la fin d’août.

À onze heures, il prit le train, qui devait le rendre là le lendemain matin.

Il n’avait pas retenu de lit, sachant bien qu’il ne dormirait pas.

La nuit se passa lentement.

Dans le char morne, les voyageurs, étendus de ci de là, évoquaient l’idée de quelque tragédie. Le train était secoué par de brusques soubresauts et avait une allure inquiétante dans la