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fiance à Blanche — et parce qu’il avait en elle cette confiance — tenait à ce qu’elle connût bien ses idées relatives au mariage et à ce qu’elle sût ce qu’il attendait et ce qu’il espérait de son amour, comme aussi ce qu’il voulait être pour elle.

De là, un échange de lettres pleines des plus hautes idées et des plus nobles sentiments, et pleines aussi d’une sincérité et d’un abandon rare :


Chère Blanche,

Je vous aime profondément et, à l’heure qu’il est, je me considère comme irrévocablement engagé envers vous ; j’ai perdu ma liberté et j’en suis infiniment heureux.

Quoique vous ne me l’ayez pas dit explicitement, je sais que vous vous considérez comme liée, vous aussi.

C’est fort bien ; et je n’attendais pas moins de vous.

Mais, pour nous rapprocher davantage, peut-être conviendrait-il que l’unisson qui marque les battements de nos cœurs existât aussi dans nos intelligences et nos volontés.

Car, si pour s’aimer il suffit de se voir, on doit se connaître quand on veut s’unir.

À une autre qu’à vous je ne parlerais pas ainsi ; mais, grâce à Dieu, votre haute intelligence et votre noble cœur vous rendent capables d’entendre ce langage et d’y répondre.

Si je vous disais que l’amour n’est pas tout, vous m’accuseriez peut-être d’hérésie, et vous auriez presque raison.

Mais à côté de l’amour, il y a autre chose qui le complète et le grandit ; et je veux vous dire ce que j’y vois.

Il y a, à côté de l’amour, le sérieux de la vie et le devoir.

Le mariage m’apparaît comme une longue suite de dévouements et de sacrifices ; il charge de lourdes responsabilités et astreint à des devoirs multiples et sérieux.

Pensez que pendant vingt ans et plus vous aurez à supporter les défauts et les caprices d’un être, toujours le même, que l’habitude vous rendra peut-être odieux ; pensez qu’une femme ne peut, sans se rendre méprisable, se soustraire à cette obsession du définitif et de l’irréparable, qui l’assiégera perpétuellement, si elle a eu le malheur de prendre celui qui ne lui convenait pas.

Pensez aux labeurs quotidiens, à l’énervement de la fatigue et à la monotonie des jours.

Vous aurez charge d’âmes ; il vous faudra former des volontés, façonner des intelligences et ouvrir des cœurs ; et vous devrez vous préparer à vous acquitter dignement de cette tâche.

Les chagrins, les fatigues et les veilles ne vous seront pas non plus épargnés, à vous qui n’avez jusqu’ici connu que les douceurs sans amertumes de l’amour filial et les rêves blancs de vos sommeils de jeune fille.

Vous aurez, il est vrai, dans cette nouvelle vie, pour vous consoler, vous fortifier et vous encourager, et pour goûter quelques instants de bonheur la pensée du devoir et l’amour.

Mais l’amour est un trésor précieux qu’on perd si facilement. Donnez-lui donc pour base, afin qu’il soit éternel, l’estime et la confiance. Ouvrez-moi votre cœur, comme on ouvre ses bras à un ami et devenons, selon la belle expression que je rencontrais récemment, vous, mon cœur, et moi ; votre tête. Vir erit caput mulieris et mulier cor hominis.

Toutes ces choses, ma chérie, je vous les dis parce que je m’y crois tenu et aussi parce que je vous aime. Je veux que nous nous donnions la main pour accomplir courageusement notre devoir et je veux ainsi asseoir solidement notre bonheur sur ce qu’il y a de plus