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plus de partis, et, sans partis, il n’y aurait plus d’ordre possible ni de gouvernement durable. Dans l’état de nos institutions, si tu supprimes le parti, tu supprimes tout ; et la société n’est plus possible. Je ne crois donc pas qu’il faille s’en prendre à l’esprit de parti, que tu ne réussirais pas du reste à détruire, mais à l’excès qui est le fanatisme de parti. C’est uniquement ce qu’il faudrait faire disparaître.

— Bravo ! grand Salomon ! dit Giroux, en riant ; puis, revenant au sérieux : je compte que tu viendras me reconduire au train, demain.

— Certainement ; et je n’oublierai pas, non plus, de prévenir chez moi, pour que tu ne te trouves pas en pays étranger à Saint-Germain. Alors, tu as acheté le journal ?

— Oui ; il ne me reste plus qu’à payer et à prendre possession ; ce que je ferai, en arrivant.

— Bonne chance : en avant le « Progrès » !

— Merci. Tu vas m’excuser ; je me sauve tout de suite : j’ai une foule de choses à faire et de gens à voir.

— À demain ; et, ensuite, à cet été.

— À demain.

Et Giroux sortit avec Ricard.

Demeuré seul, Édouard écrivit :


Ma chère petite Marie-Louise,

Te rappelles-tu d’un temps où tu m’écrivais journellement : « J’ai fait ceci avec Blanche ; je vais faire cela avec Blanche Coutu, nous sommes toujours ensemble, Blanche Coutu et moi ; qu’elle est donc fine, qu’elle est donc toutes choses ? » — Maintenant, je suis convaincu que tu ne disais pas toute la vérité et qu’elle vaut encore mieux que tu ne voulais bien dire.

Eh ! bien, moi aussi, j’ai quelqu’un à te présenter.

Est-il brun, est-il blond ? — Tu ne le sauras pas.

Est-il grand, est-il petit ? — Tu verras par toi-même.

Aime-t-il les brunes ou les blondes ?

— Ça, c’est ton affaire.

Je ne te dirai rien sur lui : ce sera à toi à découvrir ses multiples qualités. Et si tu l’apprécies favorablement, cette appréciation sera à ton honneur.

Ce quelqu’un que je veux te présenter, c’est mon ami Giroux, dont je t’ai, quelque fois, parlé.

Il a acheté l’imprimerie et le journal et s’en va, de ce pas, à Saint-Germain, donner une nouvelle vie à cette feuille anémique et souffler sur notre petit coin de pays le feu des idées nobles et ardentes dont il est animé.

C’est le meilleur garçon du monde et un parfait gentleman ; c’est aussi un de mes meilleurs amis.

J’espère que ces titres te le feront bien accueillir et que je ne serai pas à la peine de lui faire les honneurs de la maison quand je descendrai, cet été.

Montre cette lettre à maman et demande-lui d’exercer envers Giroux cette bonne hospitalité dont elle a le secret ; dis-lui que je lui en serai infiniment reconnaissant.

Pardonne-moi de ne pas t’en dire plus long et n’en veuille pas à Giroux de mon laconisme : je voudrais me hâter d’aller jeter cette lettre à la poste pour qu’elle parte par le prochain train.

Je t’écrirai plus longuement, demain.

Bonjour ; je t’embrasse.
Édouard.

CHAPITRE XXV.

Le devoir


Le mariage n’est pas uniquement une partie de plaisir ; aux gens sérieux, il apparaît sacré et redoutable.

Édouard, tout en ayant pleine con-