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pitation.

Pourtant, comme c’est la saison des nids et des frissons d’amour, je veux au moins fixer l’époque à laquelle nous bâtirons ; et lorsque viendra l’automne, regardant les arbres empourprés par la fièvre de la mort de l’été, nous verrons à leurs branches dégarnies pendre les lamentables restes des amours d’une saison et nous nous dirons qu’avant que les oiseaux n’aient relevé leurs nids, nous, nous aurons édifié le nôtre, chaud et capable de durer tous les étés qu’il plaira à Dieu.

Vous recevrez par le même courrier un petit écrin contenant le joyau qui sera le gage de nos fiançailles ; qu’il vous dise, chaque fois que vous le regarderez, que les pierres qui l’ornent sont infiniment moins précieuses que votre amour ne l’est pour moi.

Votre fiancé,
Édouard

Certain maintenant, de pouvoir réaliser à brève échéance son rêve de bonheur, Édouard s’était confié à sa mère dans une longue lettre où il lui avait dit son amour pour Blanche ; et il lui avait demandé la permission de donner une sœur à Marie-Louise, la priant d’approuver ses projets et de les bénir.

Sa mère lui avait répondu :


Mon cher fils,

Tu ne pouvais faire un meilleur choix ; je reconnais là la sagesse que tu as toujours montrée et tu me fais bien plaisir.

Blanche est une jeune fille douée des plus riches qualités du cœur et de l’esprit ; elle est industrieuse ; elle a reçue une instruction qui lui permettra de bien te comprendre et de sympathiser avec toi ; la formation que lui ont donnée ses parents en a fait une gentille enfant et une bonne chrétienne : tu ne pouvais donc rencontrer une meilleure compagne ni donner à Marie-Louise une sœur qui fût plus digne d’elle.

Je vois avec satisfaction que tu es assez raisonnable pour attendre au mois de janvier pour le mariage ; cela te donnera le temps de mieux préparer l’avenir, et tu observeras ainsi les convenances, après la mort de ton pauvre père.

S’il vivait encore, il t’aurait dit comme moi : va ! et sois aussi bon époux que tu as été bon frère et bon fils.

Je t’embrasse et je te bénis pour deux.

Ta mère,
M.-L. Leblanc

Rien d’étonnant, quand on sait que la pensée d’Édouard tournait vers Saint-Germain aussi naturellement que l’aiguille de la boussole vers le nord, qu’il fût à songer à la vieille maison grise qui fait face au fleuve et à la jeune fille qu’il y conduirait, quand Ricard et Giroux entrèrent.

Je pars, dit Giroux ; et, ajouta-t-il en riant, j’échappe à Ricard, qui m’a persécuté toute la soirée.

— Qu’est-ce qu’il veut, demanda Édouard ?

— Je veux la conversion de ce rétrograde, interrompit Ricard.

— Il me traite d’esprit étroit parce que je ne veux pas consentir à la suppression de l’esprit de parti ; il prétend que c’est un préjugé ; comme si l’esprit de parti n’était pas formé d’idées et de traditions souvent très respectables.

— Nous allons te prendre pour juge, Édouard, dit Ricard.

— C’est très bien ; usez et abusez de mes faibles lumières. Si je comprends bien, Ricard, c’est l’anarchie que tu veux.

— Comment ça ?

— Sans esprit de parti, il n’y aurait