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machine à dicter des pièces de procédure et à plaider, ni s’éveiller, un jour, comme certains, vingt ans en arrière de son siècle.

Il se mêlait donc activement au mouvement intellectuel et suivait avec intérêt l’évolution sociale et la marche des événements politiques.

Il avait eu l’occasion de donner quelques conférences et de prononcer quelques discours, et il en avait profité, estimant que c’est chose fort bonne, que de prendre contact avec le public.

Il y a à cela trois avantages : d’abord le plaisir qu’on en éprouve ; puis, le profit pour soi-même, que procure ce travail et l’exercice de la parole ; et, enfin, la réputation de bon aloi qu’on acquiert ainsi.

Car il est très légitime de se faire une réclame de cette sorte : ce sont là des témoignages de savoir et de travail qu’on est justifiable de donner au public, pour qu’il sache ce qu’il peut attendre de nous, et pour que nous sachions, à notre tour, ce que nous pouvons espérer de lui.

Édouard commençait donc à se faire connaître par la plume et par la parole, préludant ainsi aux luttes qu’il serait peut-être appelé à livrer devant ce tribunal dont relèvent tous les autres, celui de l’opinion publique.

Au point où il en était rendu, il pouvait regarder l’avenir avec confiance et ne pas être téméraire en formant des projets auxquels il associait Blanche.

Sans avoir connu la jeune fille par lui-même très longtemps, il savait tout ce qu’elle valait : on n’est pas élevé dans le même village, sans se connaître un peu, au moins par oui-dire ; et puis l’amitié qui l’unissait à Marie-Louise lui était un garant qu’il ne se trompait pas dans la haute estime et l’amour qu’il avait pour elle.

Depuis une couple de mois déjà, les parents de l’un et de l’autre amoureux étaient au courant, et Édouard devait faire la demande officielle au prochain voyage qu’il ferait à Saint-Germain.

En attendant cette demande et toutes les formalités dont ces démarches s’accompagnent, il goûtait tout bonnement le bonheur d’aimer et d’être aimé ; et voici ce qu’il écrivait à sa petite payse :


Chère Blanche,

Quand je baisais vos yeux pleins de larmes et que votre tendre émoi me faisait découvrir votre amour et le mien, je ne réalisais peut-être pas encore tout le bonheur qui m’arrivait et quel trésor inestimable m’était échu ; et je ne savais pas, non plus, comme votre souvenir serait présent chaque jour auprès de moi, et ensoleillerait ma vie.

J’étais loin de me douter qu’après nous être aimés un printemps, sans penser au lendemain, nous pourrions si tôt mettre à exécution nos rêves de bonheur.

Et voilà que j’entrevois déjà le jour, où je pourrai vous avoir toute à moi et vous dire que je n’ai plus rien à désirer, puisque je vous possède.

La profession d’avocat n’a pas été trop-ingrate pour moi, et je suis maintenant assez sûr de ce qu’elle me réserve pour escompter l’avenir et commencer à marquer le moment qui nous unira l’un à l’autre pour toujours. Que diriez-vous des jours froids de janvier ?

C’est un peu tard, au gré de mes désirs, mais c’est assez tôt en regard des dictées de la sagesse pratique, qui nous ordonne de préparer d’abord notre nid pour cette existence nouvelle, que j’entrevois faite de joies parfois austères mais toujours incomparables, grâce à vous, et que je ne voudrais pas vous rendre pénible par trop de préci-