Page:Mousseau - Les Vermoulures.djvu/79

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 76 —

— Tu te trouves donc à admettre le progrès ; Eh ! bien, laisse monter la vague du progrès et de la civilisation. D’autres que nous, d’autres gouvernements pareils au gouvernement actuel travailleront à extirper le patriotisme et à amoindrir ce que nous aurons voulu grand.

Il y en aurait un fameux nettoyage, si le gouvernement tombait, dit Ricard.

— Pas tant que cela.

— Les parasites, qui grugent le gouvernement, et les employés publics devraient faire leur paquet.

— Non ; tu nous supposes trop extrémistes. Les parasites, on leur ferait comprendre qu’ils auront à se contenter de profits honnêtes ; les bons fonctionnaires, on leur donnera de l’avancement ; et les autres ne seraient congédiés, j’en suis sûr, qu’après avoir prouvé à l’évidence une nullité ou un mauvais vouloir absolus.

— De sorte que, d’après toi, il n’y aurait rien de changé.

— Non ; pour paraphraser un mot historique, il n’y aurait au parlement de la province de Québec qu’un Canadien-Français de plus.

L’esprit plein des graves pensées qu’avait agitées leur conversation, le cœur et les yeux pleins de printemps, les deux amis redescendirent la pente ombragée, — qui a vu passer tant de gens en deuil, — pendant que le soleil couchant, là-bas, par delà les arbres, dorait les rapides de Lachine.



CHAPITRE XXIV.

Struggle for Life


Reçu avocat depuis quatre mois seulement, Édouard faisait son chemin rapidement et sûrement.

Au palais, il était très écouté des juges, auxquels il plaisait par la manière habile et claire avec laquelle il savait exposer une question et par le soin qu’il mettait à préparer ses causes.

Cette satisfaction des juges et des plaideurs et l’estime grandissante de ses confrères avaient leur retentissement dans la bienveillance de ses patrons. Ils venaient de lui en donner une preuve substantielle en augmentant son salaire. Désormais, il gagnerait cent dollars par mois.

Cette augmentation, il la méritait bien, car il travaillait consciencieusement : le premier arrivé au bureau, il se mettait vite à l’ouvrage ; toujours empressé et de bonne humeur, il plaisait à tous par son entrain infatigable ; étudiant les questions de droit avec calme et prudence, il faisait rarement fausse route ; quand il partait du bureau, un des derniers, le soir, il avait généralement une bonne journée à son actif.

Loin de se laisser tourner la tête par son succès naissant, Édouard ne s’abandonnait pas à cet infécond et paralysant contentement, où se perdent un trop grand nombre : il ne croyait pas n’avoir plus rien à faire et que le succès qui couronnait ses premiers efforts fût la consécration de la gloire et de la fortune. Il ne s’enorgueillissait pas outre mesure, non plus, de ce qu’il lui arrivait d’heureux et accueillait les premiers sourires de la fortune en garçon d’esprit.

Pour l’avocat qui réussit, il y a deux écueils : la satisfaction prématurée de soi et la cessation de tout travail ou l’abandon de tout le reste pour l’étude trop exclusive et étroite de l’étude du droit. Édouard fuyait également ces deux écueils, il travaillait d’autant plus qu’il réussissait mieux.

Il demeurait aussi l’esprit ouvert à tous les courants intellectuels. Il ne voulait pas devenir uniquement une