Page:Mousseau - Les Vermoulures.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 75 —

s’élève le monument funèbre de Sir George-Étienne Cartier.

La verdure naissante, les chants d’oiseaux, les tièdes parfums de l’éveil de la nature et le soleil au travers du feuillage, rien n’indiquait la proximité du champ du repos et tout était paix, douceur et ivresse de vivre.

Dieu qu’il fait bon, ici, dit Leblanc !

Les deux amis s’assirent sur une roche moussue, au bord du chemin, et reprirent leur conversation.

Et tu ne me dis pas, fit Ricard, si tu vas te mettre à la suite d’Ollivier.

— Oh ! répondit Leblanc, je ne ferai probablement jamais de politique active.

— Oui, mais si tu en faisais ?

— Je verrais.

— Pour un homme qui admire tant Ollivier, tu ne m’as pas l’air bien sûr de toi.

— Je t’exposerai volontiers mes idées là-dessus. En principe, je suis entièrement pour Ollivier. Maintenant, faut-il, pour le suivre, embrasser toutes ses idées et sacrifier toutes les miennes ? Je n’en vois pas la nécessité. Faut-il aussi abandonner mes chefs politiques et renoncer à toutes mes traditions ? Je ne le crois pas, non plus. Les radicaux et les modérés sont en présence ; Ollivier, radical devenu progressiste, combat le gouvernement radical. Si j’étais radical, j’abandonnerais, à l’instant, mon parti pour suivre Ollivier. Je suis un modéré, et les modérés travaillent de concert avec Ollivier, quoique non en commun ; pourquoi pas demeurer dans les rangs de mon parti, où tout me retient, principes et traditions ? En y demeurant, je travaille pour l’homme que j’admire et au programme duquel j’ai confiance.

— Et si un modéré se présentait contre Ollivier ?

— Si les modérés étaient assez bêtes pour faire cela, je voterais pour Ollivier.

— Et si tes chefs se séparaient d’Ollivier ?

— Je ne sais pas. S’ils s’en séparaient dans les circonstances actuelles, et les choses et les hommes étant les mêmes qu’actuellement, je ne m’allierais certes pas au tiers-parti, mais je deviendrais olliviériste. Ce serait lui que je suivrais. Cette discussion est, en tous cas, bien oiseuse : les circonstances, les hommes et les idées peuvent changer : et puis, est-ce que je sais si jamais je ferai de la politique.

— Qu’importe, il faut prendre parti.

— Eh ! bien, je ferais ce que je viens de te dire.

— Bravo ! Voilà qui est parlé. Tu te classes, toi, et tu ne fais pas comme ceux qui sont progressistes avec les progressistes, radicaux avec les radicaux, modérés avec les modérés ; et qui, au fond, sont tout uniment pour eux-mêmes.

— De principes, je suis et, je serai toujours un modéré, dit Édouard, et je suis de plus un olliviériste convaincu, comme le sont plusieurs radicaux. Je crois qu’avant peu Ollivier sera au pouvoir ; et que son 1937 sera un 1937 tout pacifique, qui verra la splendeur et la prospérité sans rivale de la province de Québec.

— Tout cela, dans l’hypothèse que la Province serait susceptible de faire du progrès.

— Tu es absolument décourageant et desséchant. Heureusement que tes actes démentent, quelque fois, tes paroles.

— Que veux-tu ; moi, je crois que les nations sont un peu comme la mer, qui monte et descend ; et je crois qu’un progrès doit être suivi d’un recul. De sorte que tout devient temporaire et illusoire.