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la malle soit démallée ; puis chacun partant avec le journal, qu’on lira le soir, en famille.

— Et qui abrutira les pauvres gens en raison directe de l’amas énorme d’inqualifiables bêtises qu’il renferme.

— Quelle prostitution d’une noble tâche : empoisonner le cœur et fausser l’esprit du peuple !

— Quel manque de tous principes !

— Quel manque du plus élémentaire patriotisme !

— On ne peut abuser plus odieusement de l’énorme influence qu’exerce la presse.

— Oh ! oui, cette influence est incroyable.

— C’est dommage qu’on ne l’emploie pas mieux ; ce que je ne comprends pas, surtout, c’est qu’on laisse cette influence aux imbéciles et aux malhonnêtes. Moi, qui vous parle, mon cher Leblanc, je connais une infinité de personnes qui pourraient faire quelque chose, d’une manière ou d’une autre, pour le bon journalisme, et qui négligent cordialement cette œuvre si utile.

— Oui, les gens sans scrupules se remuent et accaparent tout, et les honnêtes gens, eux, laissent faire.

— Je suis heureux qu’on ait, une fois au moins, manqué à cette traditionnelle habitude d’inertie et de veulerie, et qu’on ait fondé l’« Action Sociale  ».

— C’est une œuvre dont le besoin se faisait sentir : ça contrebalancera un peu l’esprit de désordre et de division entre les différentes classes de notre société, que certains grands journaux quotidiens s’appliquent à faire naître, pour l’exploiter ensuite à leur profit.

— Quand, en France, on crie que si les catholiques avaient eu des journaux ils n’auraient pas succombé, et que, partout, on reconnaît la puissance de la mauvaise presse, je crois, qu’ici, il n’est pas à propos d’attendre le danger, pour attaquer et défendre ce qui doit être attaqué et défendu.

— Si, par exemple, les modérés, au lieu de regarder faire et de croire qu’ils n’ont qu’à ouvrir la bouche pour que les alouettes leur tombent toutes rôties dans le gosier, avaient eu un grand quotidien, à Montréal, croyez-vous qu’ils ne seraient pas rendus, actuellement, infiniment plus loin qu’ils ne le sont ?

— Oui, mais ils vont de l’avant, maintenant.

— Je ne dis pas le contraire ; mais s’ils avaient pris, et plus tôt, de meilleurs moyens, ils ne réussiraient que mieux.

— Pourquoi ne fonderiez-vous pas un journal, Giroux ; vous le rédigeriez conformément aux idées que vous venez d’exprimer ?

— Je caresse un projet de ce genre.

— C’est peut-être celui dont vous me parliez l’autre jour ?

— Justement. Seulement, ça ne se fonde pas comme ça, un journal ; si vous aviez fait du journalisme, vous en sauriez quelque chose.

— Alors, à quoi songeriez-vous ?

— J’ai quelque argent ; et je voudrais acheter un journal de campagne : ce serait plus facile et plus pratique que d’en fonder un nouveau.

— Il y en a un à Saint-Germain.

— Je désirerais vous consulter à ce sujet ; j’ai entendu parler de ce journal et j’aimerais à savoir à quoi m’en tenir sur son compte ; vous êtes de l’endroit : vous pourriez me dire cela.

— Je ne demande pas mieux.

— Fait-il quelque chose ?

— Comme ça.

— Mais il y a assez de gens, là-bas, pour qu’il ait du succès s’il était intéressant ?

— Il faudrait, pour qu’il vînt à payer, qu’il circulât dans toute la région.