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— L’Honorable Potvin ne trouverait pas aisément des valets. J’ai hâte de le voir, ce brave Giroux.

— Moi aussi. Ah ! c’est un caractère.

— Je suis heureux de l’avoir connu, dit Édouard : les amis de cette trempe-là, on en n’a jamais trop.

Eh ! bien, au revoir, mon vieux, dit Ricard, en se préparant à endosser son paletot.

— Tu pars déjà ; attends un peu, je vais aller te reconduire.

Et les deux amis sortirent ensemble.


CHAPITRE XX.

Dans l’ombre


C’est dans l’antichambre du cabinet de l’honorable Potvin que Giroux écrivait à Ricard.

C’est là aussi, que les innombrables quémandeurs qui assiègent un ministre faisaient le pied de grue.

L’honorable Potvin était enfermé avec quelques-uns de ses collègues ; et les solliciteurs de l’antichambre regardaient avec un sentiment particulier, fait de curiosité et d’apparente déférence, la porte doublée de cuir, derrière laquelle les honnêtes personnages étaient en conférence.

Des hommes gras, rouges et suants, passaient et repassaient, se donnant des airs très affairés : c’étaient les serviteurs du Pouvoir.

Pauvres gens accoutumés à ne pas manger à leur faim, maintenant devenus gros et gras, s’arrondissant ainsi aux dépens du public.

Leur estomac, habitué à tirer le nécessaire à la vie d’une nourriture quasi-insuffisante, faisait maintenant une assimilation exagérée ; et il était grand temps, pour le bien de leur santé et celui du trésor public, qu’un changement de gouvernement vint leur faire reprendre leurs habitudes de frugalité.

Derrière la porte capitonnée, l’entretien était fort animé.

— Pourvu que les modérés ne se réveillent pas, tout ira bien.

— C’est que, dit l’honorable Potvin, ils semblent menaçants.

— Ils ne sont pas organisés.

— Plus que vous ne le croyez.

Le sentiment populaire est pour nous, affirma gravement l’un des ministres.

— La belle blague : vous savez bien que si les modérés n’étaient pas si divisés et si inactifs : que, s’ils se réunissaient, nous serions écrasés.

— Il faut les tenir divisés.

— C’est plus facile à dire qu’à faire.

— Je ne vois pas qu’il y ait lieu de tant s’alarmer : n’avons-nous pas remporté quatre élections partielles à la fois, le même jour, le quatre novembre dernier.

— Oui, mais c’était dans la région de Québec ; et puis, vous savez ce qu’elles nous ont coûté.

— Les yeux de la tête ; nous ne pourrions pas en faire souvent comme cela. Il y a des fois, dit Potvin, que j’ai envie d’abandonner la partie et de tout laisser là.

Vous voyez les choses trop en noir, mon cher, lui dit un de ses collègues : maintenant que nous sommes débarrassés de Ravaut, je crois que nous pourrons tenir tête à l’orage.

— C’était un garçon habile,… pauvre Ravaut, en avons-nous pris de bonnes parties, ensemble.

— Oui ; mais il n’était pas assez prudent. Ainsi, moi qui vous parle, on ne pourrait rien prouver contre moi. Qui a jamais vu ça ! Les papiers compromettants, on les détruit ; et les témoins à charge, on les envoie à l’étranger. Il n’avait pas le tour.

— Tout cela ne serait pas arrivé sans ce maudit Ollivier.

— Les orangistes auraient bien dû