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pas eu le temps, depuis les quelques jours qu’ils étaient en promenade chez lui, de connaître bien des gens.

Les orateurs n’avaient pas encore fait leur apparition et, en les attendant, les interpellations et les conversations allaient leur train.

On parlait moissons, fiançailles et affaires, on consacrait à se retrouver, et à renouveler connaissance les quelques instants qu’on avait encore à sa disposition, et on était incontestablement aussi disposé à s’amuser et à s’égayer que si, dans la minute d’après, on n’eût pas dû donner toute son attention à des questions extrêmement sérieuses.

L’orateur parut enfin, accompagné de quelques amis et des organisateurs de l’assemblée, qui se faisaient du succès de cette assemblée un triomphe personnel.

La foule comptait au delà de huit cents personnes.

Comme toujours dans une réunion de gens, nombreuse, le silence était infiniment plus imposant que n’avait été le tumulte.

Ce silence, Rolland Ollivier l’obtint dès les premières paroles ; dès les premiers mots aussi, il empoigna son auditoire : personne n’eût voulu interrompre, même pour applaudir.

L’orateur ne cherchait pas à flatter ses auditeurs ; il leur parlait simplement, avec toute la force de la vérité et de la sincérité.

Sa voix portait au loin des phrases pleines de la maturité de son vigoureux talent, pleine d’idées nouvelles et attrayantes.

Loin de faire appel aux basses passions, de descendre pour remuer la foule, il l’élevait à lui, ravivait ses plus nobles aspirations et l’enflammait du feu qui le brûlait lui-même ; et, preuve de, la justesse de son calcul, le peuple, dont le cœur est à la bonne place, l’écoutait et l’applaudissait.

Car une détente s’était faite : on était d’abord demeuré stupéfait, se disant : « Mais on ne nous a jamais parlé comme cela, » puis on avait pris goût à cette nouvelle manière, qui est la bonne. Maintenant, celui qui parlait et ceux qui l’écoutaient se comprenaient ; des signes d’approbation marquaient ses raisonnements et les applaudissements éclataient souvent.

On trouvait bon qu’il parlât d’honnêteté politique et de progrès et on était fier de l’entendre.

Des hourrahs saluèrent sa péroraison.

Résultat meilleur encore que ces retentissants applaudissements, chacun partit, emportant dans son esprit la matière de longues et utiles réflexions sur les questions politiques et la conviction qu’il y avait quelque chose à faire et que ce quelque chose Rolland Ollivier était peut-être l’homme qui devait l’accomplir.


CHAPITRE II.

En famille


Les discours finirent assez tôt — à cinq heures — mais l’assemblée ne se dispersa pas immédiatement. Quelques-uns, en petit nombre, s’éloignèrent tout de suite, puis la foule perdit lentement de son homogénéité, pour se fondre en groupes éparpillés, comme avant l’audition des orateurs.

L’intérêt éveillé par Ollivier, dans l’esprit de chacun, avait son premier retentissement ; et ses paroles enflammées commençaient déjà à faire chaudement discuter les premiers auditeurs, avant d’aller mettre le feu aux quatre coins de la province et réveiller l’opinion publique.

Bientôt Leblanc, suivi de ses amis, tourna le dos à la discussion et s’éloigna de l’assemblée.