Page:Mousseau - Les Vermoulures.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 53 —

après avoir obtenu le titre tant convoité d’avocat, elle ne savait plus assez lui témoigner son affection.

Ne me mange pas, ma petite Marie-Louise, qu’il en reste pour les autres, dit-il, en souriant.

Madame Leblanc les attendait, à la maison, et des larmes de regret, de fierté et d’amour lui vinrent aux yeux, en pressant son fils dans ses bras.

On ne veilla pas tard : la fatigue et l’état de sensibilité nerveuse de chacun ne le permettaient pas.

Au milieu des félicitations, Édouard fit un bref récit des péripéties de l’examen, de l’attente et de l’annonce des résultat et le plaisir de la réussite.

Madame Leblanc se retira alors ; et bientôt, dans la grande maison, sur laquelle planait le souvenir de l’absent, la nuit bienfaisante apporta à tous le sommeil. — À tous, sauf à Édouard.

Il songea longtemps à la brune amie de sa sœur et se demanda ce qu’elle dirait en apprenant son succès. Et ce fut en murmurant son nom qu’il s’endormit.

Rien d’étonnant à ce qu’il fût avide d’amour et à ce que, au moment où Blanche se demandait s’il pensait à elle, il songeât, lui-même, à elle avec complaisance. Des chagrins comme celui que lui avait causé la mort de son père sont adoucis par l’amour d’une mère et l’affection d’une sœur, mais il est un sentiment d’une nature non moins profonde, qui guérit toutes les douleurs. Et puis, n’est-ce pas la loi de la nature que la mort engendre l’amour et que, sur les débris d’un vieil arbre fleurisse un arbuste nouveau.

Au matin, la famille se trouva réunie pour quelques jours d’intimité et de repos, pendant lesquels Édouard allait prendre une décision.

Il n’avait encore aucun projet déterminé, au sujet de son établissement.

Son père voulait le faire voyager un peu, après ses examens ; ensuite, on eût vu…

Maintenant, l’idée de voyager et de se distraire loin des siens ne souriait plus à Édouard.

Il voulait se donner quelques jours de repos et de réflexion et ensuite se mettre au travail.

Il passa l’avant-midi avec sa sœur et sa mère, suivant cette dernière comme autrefois quand il était tout petit et qu’il lui tenait compagnie toute la journée. Tout en causant, il lisait une lettre de Ricard, reçue le matin.
Mon cher ami,

Tu vas trouver que je ne tarde pas à t’écrire.

Tu jouis, maintenant, d’un repos bien mérité, après toutes tes peines et tous tes travaux.

Puissent les réflexions que tu vas faire être heureuses et fécondes en décisions pratiques.

Tu te demandes, je suppose, si tu vas t’établir à la campagne ou à la Ville : grave sujet de réflexion. Chaque côté a ses avantages. À la campagne, tu réussiras plus vite, mais tu n’iras pas aussi loin ; en Ville, étant donnés tes talents et les qualités de travail que je te connais, je crois que tu finiras par percer, même en commençant tout seul, mais que de temps cela te prendra !

Connaissant tes goûts, je te dirais : demeure à la campagne, si je ne savais tes légitimes ambitions, qui me feraient te dire : va en Ville.

Je suis sûr que tu pèseras bien le pour et le contre et que, sachant que la décision que tu prendras en est une qu’on ne peut changer souvent ni à la légère, tu ne prendras parti qu’à bon — escient, mais, qu’une fois décidé, tu mettras dans ta détermination tant de travail et de volonté qu’il faudra bien que la chance te sourie.