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à entendre. Toi, Lavoie, qu’est-ce que ça te dit, cette assemblée-là ?

— Peu de choses.

— Tu réserves ton jugement ?

— Certainement : Rolland Ollivier n’est pas le seul homme qui soit capable de parler ; parce qu’il lui plaît de convoquer une assemblée politique ici, je ne vois pas qu’il faille tant s’émouvoir. Du reste, en dépit de tous ses talents, si tous avaient eu, comme lui, la chance de venir au monde riches, d’aller étudier à Paris, pendant des années, et de faire ensuite de la politique pendant quinze ans, il y en aurait un plus grand nombre qui seraient capables de lui tenir tête.

— C’est à savoir, mon cher Lavoie. Tu n’ignores pas, sans doute, ce fait que, chez nous, bien rares sont les enfants qui sont dignes de leur père. La faute en est, je crois, au manque d’esprit de famille et de tradition, au défaut de culture et à l’absence de travail. Parmi ceux qui ont eu les mêmes facilités que Rolland Ollivier de se former et de grandir, de voyager et de travailler, compte ceux qui ont mis cela à profit. On sait pourquoi un grand nombre vont à Paris : ils vont y faire la noce ; et, ensuite, ils reviennent poser. Il y a donc double mérite à avoir, au contraire, travaillé et étudié comme l’a fait Ollivier. Il est souverainement injuste de reprocher à un homme les dons de la fortune et plus encore de tenter de ravaler le mérite qu’il a eu d’en profiter, alors que tant d’autres en abusent.

— Combien d’années Ollivier a-t-il passées en Europe ?

— Je ne sais pas, Soucy… Alors, tu es un chaud partisan, Édouard.

— Je ne suis pas partisan du tout, mais j’admire un homme qui le mérite.

— Admire !

L’objet de cette discussion, Rolland Ollivier, était un homme d’environ quarante ans. Longtemps membre du parlement fédéral et témoin impuissant des attentats aux droits des catholiques et des Canadiens-Français, et des reculades de ceux qui, d’après lui, auraient dû les défendre, il avait donné sa démission, dégoûté, et songeant à quitter la politique active, quand les instances de quelques amis l’avaient engagé à tenter à Québec ce que l’esprit de parti de quelques-uns et le fanatisme de quelques autres ne lui avaient pas permis jusque là : le relèvement et la poussée en avant de notre race.

À Ottawa, le progrès pour nous, c’est d’être respectés et traités avec justice ; à Québec, le progrès consiste à augmenter nos forces et pour ce à nous donner une bonne administration, et à travailler à nous faire grandir d’abord financièrement, moralement et intellectuellement, puis, peu à peu, numériquement.

Pour accomplir cette œuvre, Rolland Ollivier, seul, sans parti et sans appui, confiant dans la justice de sa cause, dans le bon sens, et le patriotisme des Canadiens — français, se proposait de faire appel à l’opinion publique, et sa grande voix allait, ce jour-là, résonner pour la première fois, pour l’ouverture de cette campagne mémorable en faveur du progrès de la nationalité canadienne-française et contre l’inertie des uns, la faiblesse des autres, et ce qu’il appelait les menées coupables d’un trop grand nombre.

Après quelques minutes de marche, Leblanc et ses amis, avec des sentiments divers, comme nous l’avons vu par leur conversation de tout à l’heure, arrivèrent aux abords de l’assemblée. Leblanc, qui était de l’endroit, avait un grand nombre de connaissances, dans la foule, et dut présenter à plusieurs Soucy et Lavoie, qui n’avaient