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là, qui apporte l’oubli, dans le sommeil.

Il dormit mal et fut obligé de prendre sur lui, pour ne pas verser de nouvelles larmes, quand il se réveilla, brisé, et qu’il se retrouva de nouveau dans la chambre mortuaire.

On avait usé d’autorité pour forcer madame Leblanc à prendre du repos.

Elle refusait, disant : « Qu’est-ce que ça fait que je me fatigue : je suis vieille et je ne suis plus bonne à rien. » Les supplications de Marie-Louise eurent raison de son obstination ; et pendant que les autres priaient dans la chambre mortuaire, Marie-Louise, elle, en compagnie de Blanche Coutu, veilla sur le sommeil de sa mère.

Sa douce influence fut heureuse ; et, le matin des funérailles, madame Leblanc était plus calme et plus courageuse.

Le cortège funèbre se forma.

Édouard marchait en tête, avec les autres parents.

Sur son passage, on disait : « monsieur Leblanc a laissé un garçon qui ne lui fera pas déshonneur. »

Inconscient de l’attention dont il était l’objet, il marchait gravement derrière les chevaux caparaçonnés de noir, qui emportaient, dans la longue boîte carrée, aux poignées d’argent, ce qui avait été son père.

Le prêtre vint recevoir le corps et lui donner l’accueil que l’Église accorde à la dépouille de ses enfants.

Édouard fondit en larmes, quand résonna le chant pathétique du Dies iræ.

Tout le reste du service funèbre, il fut secoué par les sanglots : il y a quelque chose que nous ne pouvons supporter sans révolte dans le fait d’une personne aimée, couchée et clouée entre quatre planches pour toujours ; les chants liturgiques viennent faire fondre en larmes et en prières notre impuissance à faire revivre celui qui, couché là, immobile, n’entend pas les pleurs versés sur lui.

On reconduisait le corps au charnier, où il allait passer l’hiver, chose inerte et gelée.

Édouard s’en retournait, le froid du charnier au cœur, quand le curé l’arrêta et lui dit : viens avec moi, Édouard, je voudrais te parler.

L’acte de décès avait été dressé et signé ; ils se rendirent au presbytère.

Le curé fit entrer Édouard dans sa chambre.

Elle était propre, grande et bien éclairée. Beaucoup de désordre, par exemple, résultant du nombre incroyable de livres et de meubles. Deux grands fauteuils s’y faisaient vis-à-vis.

Le curé en prit un et invita Édouard à s’asseoir dans l’autre.

J’ai pensé, Édouard, que tu aimerais à avoir des détails sur la mort de ton père.

— Vous avez bien pensé, monsieur le Curé, je vous en suis très reconnaissant.

— Ton père a été pris d’un malaise subit, vers les deux heures, le lendemain de Noël. Il venait justement de se rendre à son bureau ; il est retourné chez vous et il a dit à ta mère qu’il ne se sentait pas bien. Il s’est tout de suite trouvé plus mal ; on a appelé le médecin, qui m’a fait demander sans retard. Ton père n’a pas beaucoup souffert, mais ses forces baissaient rapidement. Je l’ai administré ; il s’est confessé et a communié avec beaucoup de dévotion, avec une piété rare… C’était un brave homme, ton père ; j’espère que tu lui ressembleras. Je suis demeuré avec lui, quelque temps. Finalement, il a perdu connaissance ; juste à ce moment, on est venu me chercher, pour un autre malade ; je ne l’ai pas revu, mais il n’est pas revenu à lui jusqu’à la fin.

— Pensait-il qu’il allait mourir ?