Page:Mousseau - Les Vermoulures.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 35 —

dit, assez haut pour que Ricard et son compagnon l’entendissent : qu’il est joli !

Il n’est pas Joly, dit tout bas Ricard : il est Soucy.

Et les deux jeunes gens faisaient des mots d’esprit, disaient les choses les plus invraisemblables et les plus désopilantes, et riaient d’un rire qui ne leur laissait assurément pas de remords.

Cependant la fête touchait à sa fin. Quelques personnes étaient parties ; et les discours achevaient.

Ricard avisa, tout à coup, un jeune homme, qui regardait de son côté. Il le salua de la main et dit à Édouard : tiens, mon ami Giroux ; il faut que je te le présente.

Bernard Giroux était un joli grand garçon, à l’air sympathique et distingué.

Il salua aimablement Édouard et ils se dirigèrent, tous trois, vers la porte.

Je te croyais à Québec, disait Ricard.

J’ai eu affaire à venir, pour une couple de jours, répondait Giroux.

— Ça va toujours bien, à Québec ?

Tu es toujours satisfait de ton ministre ?

— Assez.

— Tu sais sans doute, Édouard, que M. Giroux est secrétaire de l’hon. Potvin ?

— Je n’avais pas le plaisir…

— Depuis déjà deux ans, dit Giroux.

J’en ai vu de toutes les couleurs depuis ce temps-là.

— Et tu en verras encore de belles.

— Oui, ça chauffe, de ce temps-ci ; je ne vous dis que ça.

On était rendu à la porte de l’hôtel : Édouard et Ricard quittèrent Giroux et prirent, pour s’en revenir, la rue Saint-Catherine.

Un charmant, garçon que ce Giroux, disait Ricard.

— Tu le connais depuis longtemps ?

— C’est un ami d’enfance. Après avoir fait son cours classique, comme ses parents étaient trop pauvres pour lui faire continuer ses études, il s’est mis dans le journalisme. Il s’y est fait remarquer et c’est ainsi qu’il est parvenu à obtenir la position qu’il occupe actuellement. Il ne l’a pas sollicitée, mais comme on la lui a offerte et qu’on lui offrait en même temps un salaire beaucoup plus élevé que celui qu’il pouvait gagner à son journal, il a accepté.

— C’est une jolie position qu’il a.

— Je te crois.

La température était froide mais vivifiante et les deux étudiants, leurs paletots boutonnés jusqu’au menton, ne se hâtaient pas et conversaient familièrement.

Sortis de l’atmosphère surexcitante, de lumières, de chaleur et de griserie du banquet, ils revenaient au sérieux de la vie et leurs paroles indiquaient assez leur préoccupation du devoir et de l’avenir.

Je ne sais pas ce que je deviendrai, disait Ricard ?

Un avocat, répondit son compagnon.

— C’est à savoir : je me fais recevoir, mais je ne pratiquerai peut-être pas.

— Tu regardes loin, toi ; moi, je m’occupe uniquement, pour le moment, de passer mon examen.

— C’est bon de s’occuper de l’heure présente mais il faut aussi penser à l’avenir. J’ai plus vécu que toi, tu sais, et j’ai appris qu’on ne peut jamais penser aux choses trop tôt d’avance : c’est de la sage prévoyance.

— Je crois en effet que je ne pèche pas par excès de toutes ces qualités qui font le trésor de la sagesse.

— Oh ! je n’ai pas dit cela ; mais je te conseille bien de travailler à les ac-