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parvenir à la vérité, jamais pour l’emporter l’un sur l’autre. Chacun reconnaissait ses erreurs sans amour propre et avec empressement, et tous deux travaillaient uniquement à s’éclairer mutuellement et à s’entr’aider.

Avec une telle entente, il était très difficile qu’ils n’avançassent pas très rapidement et qu’ils n’eussent pas autant de facilité que d’agrément dans leur travail.

Ricard aplanissait admirablement les difficultés ; son esprit lucide et souple se riait des embrouillaminis de la loi. Il émerveillait Édouard qui, quoique très fort, lui-même, le cédait cependant à son ami. Édouard rendait volontiers hommage à sa supériorité et était charmé du secours qu’elle lui apportait.

Une des conséquences de cette coopération était qu’ils devenaient des inséparables.

Étant la majeure partie du temps ensemble, tout en s’entretenant de leurs plans communs, ils s’ingéniaient à ne pas perdre une minute : pour y arriver ils faisaient coïncider les heures de leurs repas et de leurs promenades et finissaient par ne plus se quitter.

Soit qu’ils se promenassent ensemble, soit qu’au milieu de leur travail ils s’interrompissent pour se délasser par quelques minutes d’amical entretien, toujours Édouard éprouvait tout ce qu’apporte une pensée amie, la pensée d’un chercheur et d’un intellectuel.

À ce contact, son esprit se dérouillait peu à peu et reprenait la souplesse et l’initiative qu’une trop longue sujétion lui avaient enlevées. — Non pas qu’Édouard voulut se débarrasser de toute règle et rejeter toute entrave, car il savait que les règles ne sont pas à proprement parler des entraves, mais des soutiens et des guides nécessaires.

Sa personnalité se développait et s’affermissait ; il en ressentait un charme particulier et en éprouvait une intime et légitime satisfaction.


CHAPITRE X.

Le soir des étudiants


Que penses-tu qu’Ollivier va faire maintenant, demanda Édouard ?

— Continuer toujours et quand même.

— Il ne se représentera pas dans son comté, pour le fédéral ?

Je ne crois pas, dit Ricard.

— C’est vraiment dommage.

— Que veux-tu, c’est enfantin de croire qu’il va retourner dans son comté après s’en être ainsi éloigné ; il ne joue pas à ce jeu auquel jouent les enfants et qu’on appelle les quatre coins ; il n’est pas pour courir d’un siège électoral à l’autre. Il est dans la politique provinciale pour y rester, jusqu’à ce qu’il ait tombé ses adversaires.

— Je ne puis pas me faire à l’idée qu’il n’ait plus de siège au parlement.

— Tu as bien raison de le regretter. Sais-tu ce que le personnage qui joue le premier rôle à Ottawa disait de lui — et il ne peut être soupçonné de partialité envers Ollivier : il disait qu’il était le plus bel ornement de la chambre des Communes.

C’est à Québec que nous en avons de fameux ornements, parmi nos ministres !… mais ce ne sont pas précisément des ornements d’église.

— Calme-toi, mon cher Édouard ; et songe au plaisir : nous parlerons de politique, demain.

Nos deux amis avaient, en effet, sous les yeux un spectacle qui invitait plus aux pensées de gaieté qu’aux discours sérieux.

On était au trente novembre ; et c’était, ce soir-là, le banquet des étudiants.

La grande salle du Windsor offrait un brillant spectacle. On y voyait,