Page:Mousseau - Les Vermoulures.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 32 —

— 1904 n’est pas une habitude : ils vont se réveiller.

— Je le souhaite ; les radicaux en sont rendus à un point où ils sont mûrs pour la chute. Quand un gouvernement en est venu à traiter la chose publique comme la sienne propre et que sa ruse et ses violences ne servent plus à couvrir ses méfaits, il est temps qu’il soit renversé.

J’applaudirais à sa chute, dit Édouard.

Ricard pouvait parler seul, presqu’indéfiniment. Leblanc, qui trouvait beaucoup de charme et de profit à sa conversation, le mit sur le chapitre de la littérature ; il lui posait quelque question, de temps à autre, juste pour le tenir en haleine : et Ricard parlait, lui faisait une vraie conférence.

Il s’interrompit, tout à coup, et, regardant l’heure à sa montre : dix heures ; et moi qui voulais travailler, ce soir.

Ricard était, lui aussi dans sa troisième année, et devait se présenter au jour de l’An.

— Tu travailleras, demain, lui dit Édouard.

— Il le faut bien.

— À propos, comment ça va-t-il la préparation ? es-tu rendu loin ?

— Oh ! je serais prêt à passer maintenant.

— Vraiment.

— Je travaille tout de même, comme si je ne savais rien, tu sais.

— C’est très bien. Avec qui prépares-tu donc ?

— Seul.

— Moi aussi. Tiens, nous devrions repasser ensemble.

— Ce serait une bonne idée.

Ce qui fut dit fut fait. On était au 20 novembre et il restait juste un mois avant l’examen de l’Université. Les amis résolurent de mettre ce temps à profit pour revoir ensemble toutes les matières de l’examen. Dès le lendemain, Ricard arrivait à la chambre d’Édouard ; et là, chacun, son code à la main, lisait, récitait et commentait à son tour.

Journées charmantes et qui, longtemps, demeureront dans le souvenir des deux amis, auréolés du double souvenir de la jeunesse et des illusions.

Quel plus grand plaisir que le travail à deux, quand l’amitié est en tiers.

Édouard goûtait d’autant plus cette rare jouissance qu’il l’avait moins souvent rencontrée.

Les esprits chagrins disent que les caractères ont rapetissé ; et c’est peut-être là la cause de l’absence des qualités mâles et fortes qu’exige l’amitié.

Quoiqu’il en soit de la cause, le fait reste là : il n’y a pas assez d’amitiés solides et sincères.

Conformités de goûts, alliances d’intérêts et d’affaires, on trouve de tout, excepté la vraie chose.

La plupart des soi-disants amis, leur ami une fois le dos tourné, déblatèrent contre lui ou, du moins, en riront discrètement — et ne se gêneront pas, souvent même, en sa présence.

Pas de confiance, pas de soutien mutuel : on cherche à se surprendre l’un l’autre et à dépasser son voisin. On oublie totalement que l’amitié n’est pas faite pour qu’on dénigre ou qu’on exploite son ami.

Mettez vingt Anglais ensemble ; ils se soutiendront et grandiront les uns avec les autres et les uns par les autres.

Mettez ensemble vingt Canadiens-Français ; ils se chicaneront et se mangeront les uns les autres.

Il fait vraiment peine de remarquer de semblables tendances chez notre jeunesse.

Chez Édouard et son ami, rien de tel : ils discutaient uniquement pour