Page:Mousseau - Les Vermoulures.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 29 —

d’autre utilité que celle d’amuser et de reposer des soucis de la journée, ce qui est déjà beaucoup.

— Je suis pas mal de ton avis.

— Nous allons monter à pied, dit Soucy à Édouard. Quant à Lavoie il demeurait dans l’est : il prit donc congé de ses amis.

Soucy et Édouard arrivèrent bientôt au coin des rues Sainte-Catherine et Saint-Denis ; là, ils aperçurent un groupe nombreux et animé, où se trouvaient plusieurs étudiants de leur connaissance.

Vous savez la nouvelle, leur cria-t-on ?

— Non.

— Ravaut a démissionné.

— Quand ?

— Ce soir, à une réunion du cabinet, à Québec. La chose vient seulement d’être connue à Montréal. C’est un reporter de la Gazette qui nous a appris ça.

— Il va y en avoir de la sensation, demain.

Édouard et Soucy dirent bonsoir et continuèrent leur chemin.

Quel triomphe pour Rivard !

— Lui, qui dénonçait Ravaut depuis des mois, ce qu’il va jubiler.

— Je ne crois pas qu’il triomphe trop bruyamment, dit Édouard, c’est une victoire pour lui, mais d’après ce que je connais de lui, il ne se réjouira pas bien longuement ; ce qui lui importe, c’est le triomphe de sa cause.

— Ça devrait avoir un effet énorme.

— Je ne sais pas : on va le remplacer par un autre et tout va être dit.

— Pourtant ça prouve…

— Oh ! ça prouve énormément : ça prouve tout ; mais est-ce que les gens voudront voir clair ?

— Il est certain que l’opinion est extrêmement difficile à remuer.

— Je n’appelle plus ça difficile : c’est mort. Je me demande s’il faudrait que les ministres tuent pour qu’on les fasse dégringoler tous ensemble. On paraît résolu à tout leur permettre. Tu comprends, depuis quatre ans Rivard dénonce les radicaux, dévoile des choses révoltantes et dont il n’y a pas à douter : ainsi, le favoritisme du gouvernement pour certains individus et sa complaisance pour certaines corporations, et ainsi de suite. Il a rudement attaqué Ravaut ; celui-ci, après avoir inutilement essayé de faire taire Rivard, ne pouvant plus se défendre, démissionne. Il devient clair comme le jour que les reproches que lui faisait Rivard étaient fondés ; autrement, pourquoi aurait-il démissionné ? et puisque Rivard était de bonne foi, en cette occasion-ci, comme en toute autre, du reste, et que Ravaut lui a donné raison en démissionnant, n’est-il pas à présumer que ceux à qui Rivard fait la guerre sont également coupables ? pour moi, j’en ai la conviction. Et ils sont doublement coupables : de leurs méfaits d’abord et ensuite, de ceux de Ravaut aussi. Comment ! ils ont fait leur petite popote de leur côté sachant ce que faisait Ravaut et le laissant faire, parce qu’ils ne faisaient pas mieux, eux-mêmes ; et, maintenant qu’il est découvert et qu’il est trouvé trop coupable pour demeurer ministre, eux ne seraient pas assez coupables d’avoir été ses complices, pour mériter richement de retourner dans la vie privée et de donner au peuple la chance de se moquer d’eux, à son tour ?

— Comme tu y vas, dit Soucy.

— C’est une sale chose : s’ils demeurent au pouvoir, nous avons la certitude d’être gouvernés par des gens qui ne valent pas mieux que Ravaut. Et alors ce n’était pas la peine de le mettre à la porte, lui. Il n’a après tout, qu’un tort de plus qu’eux, celui d’être démasqué. Les autres, le sont aussi,