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CHAPITRE VIII.

Entre amis


À sept heures et demie, Soucy et Lavoie arrivèrent.

Des messieurs pour vous, M. Leblanc, cria sa maîtresse de pension à Édouard.

Montez donc, dit Édouard, en s’adressant à ses amis.

Soucy ne fumait pas ; Édouard offrit une cigarette à Lavoie.

Tout en endossant son paletot, il demanda : qu’est-ce qu’on joue ce soir ?

Les Deux Gosses.

— Qu’est-ce que c’est que cela ?

— C’est un mélodrame : tu vas voir, nous allons rire.

Nous sommes prêts, dit Édouard.

Les amis descendirent et partirent à pied, comme des gens pour qui leur bonnes jambes rendent les tramways inutiles.

Sur la rue Saint-Denis, peu de passants, mais les tramways, par contre, étaient bondés de passagers. Sur la rue Sainte-Catherine, au contraire, toute brillante de lumières, la foule était nombreuse, surtout aux abords du National.

Édouard et ses camarades pénétrèrent dans le couloir qui conduit à l’amphithéâtre et arrêtèrent au guichet, prendre leurs billets. Ils furent assez heureux pour trouver trois sièges d’orchestre ensemble, quoiqu’il y eût beaucoup de monde et que la représentation fût près de commencer.

Ils entrèrent et durent, pour parvenir à leurs sièges, à moitié écraser une grosse dame, qui, outre son énorme personne, avait apporté avec elle un immense mouchoir, — pour les émotions, — et un nom moins immense éventail — pour la chaleur. Le passage forcé des étudiants lui procura l’avantage de se servir de ce dernier.

Les lumières s’éteignirent et le spectacle commença.

Les Deux Gosses, c’est l’histoire attendrissante de deux pauvres enfants qui, après des péripéties tragiques ou navrantes, retrouvent dans une scène des plus pathétiques, leur foyer et leur mère.

Un père jaloux, trompé sur le compte de son épouse, la croit coupable et abandonne pour la punir ses deux enfants à des malfaiteurs ; alors, chagrin du père, désespoir de la mère ; et, enfin, retour des enfants et embrassades générales. Les événements de ce mélodrame sont on ne peut plus invraisemblables ; mais, du moment qu’on y croit, il n’y a plus de raison de ne pas pleurer à chaudes larmes.

Après l’acte où le père dérobe les enfants à leur mère et les confie à des ravisseurs, Lavoie dit : c’est un brave, ça !

— Dans la vie réelle, ce serait un insensé et, ici, c’est un acteur, mais je ne vois pas où est sa bravoure.

— Comment, si tout à coup un des spectateurs s’était levé et avait dit : lâche ces enfants-là ou je te fracasse la cervelle.

— Il aurait continué à remplir son rôle.

— Et il eut peut-être reçu une balle

— Ça aurait pris un échappé de la Longue-Pointe, pour faire cela.

— Ou quelqu’un digne d’y entrer ; ça n’empêche pas que la chose est arrivée dans un théâtre anglais de la Ville.

— Pas possible.

— Eh oui. Il y a des fois, à ces spectacles, des enfants à qui ça tourne la tête. La semaine dernière, à une représentation dans un théâtre, un petit gars qui était dans le pit s’est levé, et, comme un méchant garnement quelconque maltraitait des enfants sur la scène, il a tiré sur lui.

— Ça, c’est fameux. C’est un fou ?

— Probablement ; mais ça n’en est