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soi. Et tel était le cas pour Rivard.

De Rivard, on allait naturellement à Ollivier ; et, pendant qu’on les appréciait tous les deux et qu’on commentait leur conduite, Édouard se taisait et réfléchissait.

Édouard Leblanc n’était pas un homme à s’emballer ; avant de prendre parti, il voulait peser le pour et le contre.

Il appartenait par sa famille au parti des modérés et ne voulait pas demeurer dans ce parti sans raison ni, surtout, le quitter à la légère. Devait-il entrer dans le parti progressiste, que tentait de fonder Rivard ? Avant de répondre non à cette question, il voulait se renseigner et réfléchir sérieusement.

Il savait qu’on se repent toute sa vie de ses erreurs de jeunesse et il voulait s’éviter des regrets.

Après avoir étudié toute une après-midi, les discours trop sérieux ne reposent guère.

Édouard chercha donc de l’œil quelques amis qui ne fussent pas occupés à parler politique ; il aperçut, appuyés dans l’embrasure d’une fenêtre, Lavoie et Soucy.

Ces deux étudiants, dont l’un, Lavoie, était infiniment supérieur à l’autre, faisaient la paire. On les voyait toujours ensemble ; certaines circonstances les avaient d’abord rapprochés ; et puis, sans doute, ils se réunissaient d’après la loi des contrastes, qui veut que les contraires s’assemblent.

Ils riaient et paraissaient beaucoup s’amuser.

Sais-tu où tu vas ce soir, demanda Lavoie à Édouard ?

— Non ?

— Tu viens au théâtre avec nous.

— Vraiment.

— Ne fais pas le sauvage.

— Il faut que je travaille.

— Ce n’est pas de mes affaires.

— Eh bien, le théâtre non plus n’est pas de mes affaires.

— Voyons ?

— Qu’est-ce que cela va me donner, dit Édouard, amusé du débat et à moitié persuadé ?

— Des émotions.

— J’en ai eu assez ces jours derniers.

— Fais-nous plaisir.

Édouard se fit prier encore un peu, pour entendre Lavoie lui débiter ces plaisantes boutades dont il était coutumier.

— Si tu ne viens pas au théâtre, nous allons aller te donner un charivari.

— Quel char y varie ?… Un char spécial ?

— Honte ! quel abruti ! tu vois bien que tu as besoin de venir au théâtre.

— Où allons-nous aller ?

— Au théâtre National.

— C’est une bonne idée.

— Oui ; mais viens.

— J’irai, ne craignez rien.

— Nous irons te prendre à ta chambre : ce sera plus sûr.

— Je vous attendrai.

Ils entrèrent alors au cours.

Durant une heure, Édouard entendit commenter par le professeur les formules de droit, règles de notre civilisation où sont venues se condenser les siècles de travail et de progrès de la société et de l’esprit humain.

Édouard, tout en ne négligeant pas l’étude des détails, était sensible à la grandeur de cet ensemble de dispositions si sages et si harmonieuses.

Il se pénétrait des maximes juridiques générales, qui résument toutes les autres, et son esprit subissait peu à peu une saine formation légale.

Le cours fini, il remonta à sa chambre, prit son souper, écrivit quelques lettres, puis attendit ses amis.