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un apôtre de toutes les grandes causes et de toutes les nobles idées, prêt à mourir pour la vérité et la justice. On lui a fait des reproches : Eh ! mon Dieu, s’attend-t-on qu’un homme comme celui-là va avoir des petites qualités et des petits défauts. Il est violent et il a raison : est-ce avec des compliments qu’on fait peur aux gredins. On lui a même reproché d’être injuste : il est assez difficile que ceux qu’il fouette impitoyablement l’en remercient ; mais qu’on me trouve un seul homme qui ait eu droit à une réparation de sa part et qui ne l’ait pas obtenue. Avoir fondé et fait à lui seul un journal pendant quatre ans et n’avoir, durant ce temps, combattu, sans défaillance, que pour les bonnes causes ; avoir ruiné sa santé, risqué sa réputation — attaquée par les coupables qu’il a démasqués — et surtout avoir risqué la fortune de sa famille, cela est grand. Et, en vérité, j’estime et j’admire Rivard plus que je ne saurais le dire. Quoiqu’en puissent penser ceux qui, selon la juste expression que vous connaissez,

«… rassurés par l’ordre aux solides étaux,

«… regardent grouiller au vivier de leurs vices

« Les sept vipères d’or des péchés capitaux, »

je considère Rivard comme un apôtre. Puissé-je ajouta-t-il, ému, n’avoir pas à le saluer, un jour, comme un martyr.

Édouard demeura quelques minutes sans parler, surpris d’une telle véhémence et comme accablé par la révélation d’un si noble caractère.

Puis il dit : vos paroles me font réfléchir, savez-vous.

— Je n’ai dit que ce qui est.

— Oui, mais d’une manière si enthousiaste…

— Ça, je ne puis pas m’en défendre.

Ricard, tout en parlant, feuilletait un livre. Il l’ouvrit et dit à Édouard : Écoutez, je vais vous lire quelque chose de bien.

C’était une page d’Ollé-Laprune.

Il la lut et entretint Édouard de littérature, tout le reste de la soirée.

Quand ils se dirent bonsoir, Ricard pria Édouard de revenir le voir ; celui-ci partit en le promettant.


CHAPITRE VII.

La préparation


Édouard tint parole ; et si le temps ne lui permettait pas d’aller voir Ricard chez lui, du moins le recherchait-il au cours. Ils avaient ensemble de bonnes et longues conversations, qui faisaient du bien à Édouard et le reposait de ses dures journées de travail.

Ce n’est pas, en effet, une mince affaire pour un étudiant que la préparation de ses derniers examens. Il y va souvent de son avenir tout entier.

Dans les familles dont quelqu’un des membres a fait des études, on sait à quoi s’en tenir là-dessus.

Pendant des mois, on discute, à la maison, sur les chances d’établissement du futur avocat, notaire ou que sais-je. On l’encourage à travailler et on se demande, tout bas : réussira-t-il ? échouera-t-il ?

Quelle anxiété et quelles espérances.

Tous ont passé par là, du reste : c’est un point tournant, dans l’existence, comme il s’en rencontre pour chacun.

L’humble apprenti qui va devenir ouvrier, l’ouvrier qui espère devenir patron, le commis qui demande de l’avancement, le journalier qui sollicité une augmentation de salaire, tous ont